Un vent fort souffle sur la cité-dortoir de Lasnamäe, seul le cri des mouettes surplombant les khrouchtchovki (HLM soviétiques) qui s’étendent à perte de vue apporte un brin de vie. C’est l’automne. Six personnages – six destins – tentent à tout prix de trouver un statut, une place dans la société, l’amour…

Le réalisateur Veiko Õunpuu opère un tour de force en décrivant une fraction de la société estonienne sous un angle des plus douloureux. Qu’y a-t-il de plus cruel pour l’âme humaine que l’impossible communication ?

Le style du réalisateur estonien est reconnaissable par ses personnages excentriques et peu bavards. Ce film d’art et d’essai retrace la vie de différents habitants du quartier le plus peuplé de Tallinn, broyés par le désespoir de ne pas parvenir à percer ce plafond de verre social. Le film s’ouvre par une scène choc où le jeune écrivain Mati tente d’étrangler sa fiancée Jaana, après quoi un flashback rappelle les instants heureux du couple. Une musique psychédélique, des jeux de couleurs évoquant les effets de l’abus d’alcool traversent les plans. Et justement, l’alcool est la matrice du film, il comble le manque éprouvé par les protagonistes, c’est pourquoi il est présent dans presque toutes les scènes.

Le film décrit aussi diverses couche de la société estonienne. On voit d’abord l’appartement sobre de Mati, rempli de livres et de bouteilles d’alcool, puis celui, délabré et pauvre, du portier Théo, et le deux-pièces épuré, beaucoup plus chic, du jeune couple rangé Ulvi et Maurer. Ces derniers, et surtout l’architecte Maurer, attachent beaucoup d’importance à leur apparence et à l’image qu’ils donnent. Lors d’une soirée, Maurer est gêné de répondre qu’il vit encore dans une cité-dortoir, élément déclencheur de la rupture du couple. Hypocrisie ? Chacun essaye de trouver la vérité et surtout le véritable bonheur. Suis-je heureux ? Question récurrente du film. Le portier Théo multiplie en vain les tentatives de conquêtes amoureuses. Mati poursuit sa fiancée jusqu’à l’appartement de son nouvel amoureux. Quant à Laura, vivant seule avec son angélique petite fille, elle regarde la série américaine Les oiseaux se cachent pour mouriroù l’on retrouve le thème de l’amour impossible et interdit. Un moment intéressant est le croisement des destins dans la boîte de nuit Miraaž, Théo et Ulvi éprouvent enfin un amour réciproque, Mati se détruit par l’alcool. Un rock assez doux accompagne les scènes tout au long du film. Quelques pointes d’humour apportent une légère couleur chaude à cette atmosphère morose, comme la ridicule imitation chorégraphique de Beat it, chanson de Michael Jackson, exécutée par le collègue de Théo. Cela sous-entend-il que le seul espoir d’évasion est du côté de la vie à l’Ouest, de l’autre côté de l’ancien rideau de fer ?

Tous les personnages du film essayent de trouver chez les autres une part de sincérité, mais dès qu’ils la trouvent, comme saisis par la peur, ils s’en éloignent et reviennent dans leur quotidien aliénant, rythmé par les gorgées d’alcool. « La comédie des relations », titre d’un projet de l’un des personnages, réalisateur de son métier, est comme une goutte d’eau faisant déborder le verre : Théo, hors de lui, l’accable de coups. L’a-t-il tué ? La question reste sans réponse. Néanmoins, cette scène de violence n’est-elle pas aussi une forme de deus ex machina permettant la résolution de l’intrigue qui semblait jusque-là difficile à conclure ? Des séquences plus brèves s’enchaînent. Laura retrouve sa fille mystérieusement disparue ; un seul indice : le petit gorille appartenant au coiffeur qu’elle tient dans ses mains nous permet de le soupçonner. Est-elle allée chez lui ? A-t-elle été victime d’attouchements ? On ne le saura jamais. Ulvi retourne chez elle et prend entre quatre yeux Maurer, afin qu’ils s’avouent mutuellement la vérité. Au final, scène tout à fait révélatrice, c’est le retour de Jaana chez Mati, où elle enlève sa perruque brune. Fin de la comédie ? Le film se clôt avec l’étreinte affectueuse de Mati et Jaana, une lueur d’espoir ?

Malgré sa longueur (presque deux heures), le film tient en haleine le spectateur grâce à la performance artistique et physique des acteurs. Film puissant, évoquant le mal-être de la classe moyenne estonienne, l’existence d’une possible identité balte, mais aussi tout simplement les effets de la trahison, de la déception et la recherche de la vérité.

Fiche technique

Sügisball

Année : 2007
Genre : drame
Réalisateur : Veiko Õunpuu
Scénario : Mati Unt, Veiko Õunpuu
Pays d’origine : Estonie, Finlande
Producteur : Katrin Kissa
Studio : Taska productions
Langue : estonien
Format : couleur
Photographie : Mart Taniel
Montage : Veiko Õunpuu, Tambet Tasuja
Musique : Ülo Krigul
Durée : 2h07
Sortie estonienne : 13/09/07
Prix et distinctions : 4
Disponible en DVD éd. Strand Home