Au pays des nuits blanches, les célébrations de Jaanipäev ouvrent officiellement la saison estivale. Bienvenue en Estonie, où il ne fait jamais vraiment nuit pendant plusieurs mois d’affilée !

Si en France nous célébrons l’arrivée de l’été le 21 juin avec la fête de la musique, les Estoniens, quant à eux, allument des feux de joie dans tout le pays la nuit du 23 au 24 juin. Habitant en Estonie depuis quatre ans, je vais donc vous raconter comment les Estoniens célèbrent le solstice d’été.

Le jour officiel de Jaanipäev est le 24 juin (jour du drapeau), mais les célébrations commencent dès le 23 et vont durer toute la nuit. De plus, le 23 juin est également férié en Estonie.  Cette journée de fête nationale célèbre la victoire de l’Estonie sur la Landeswehr à l’issue de la bataille de Võnnu durant la guerre d’indépendance contre les troupes Allemandes (23.06.1919). Les Estoniens bénéficient ainsi de deux jours fériés pour célébrer pleinement la liberté et l’arrivée de l’été.

Feu de joie – Campagne estonienne

Une origine qui remonte à la nuit des temps

Jaanipäev qui signifie la Saint-Jean en français vient du calendrier religieux. Jour de la célébration de l’anniversaire de Jean-Baptiste, il s’agit de la fête la plus importante avec Noël et elle est très largement célébrée dans toute l’Estonie. Mais l’origine est encore plus ancienne  si on en croit l’hypothèse avancée par l’ancien président Lennart Meri dans son livre de 1976 intitulé Hõbevalged.

Les traditions de Jaanipäev  remonteraient selon lui à la chute de la météorite Kaali sur l’île de Saaremaa il y a environ 4 000 ans.

Préparation de Jaanipäev sur l’île de Saarema

Les feux de joie reconstituent la chute de la météorite lorsqu’elle éclaire la nuit en donnant l’impression que le soleil se lève à nouveau dans cette même nuit. On y retrouve aussi le lien avec le soleil des anciens rites paganistes.

Pour l’occasion, il est de coutume d’allumer des feux de joie mémorables. Le bûcher s’élève généralement à deux mètres de hauteur et brûle pendant plusieurs heures.

Une fête ancrée au cœur de la culture estonienne

Il y a quelques années, je suis arrivée en Estonie en juin et Jaanipäev est la toute première fête estonienne à laquelle j’ai eu le plaisir de participer. J’avais été invitée au musée en plein air de Tallinn qui propose une exposition permanente permettant de découvrir les habitations et le mode de vie à l’estonienne d’autrefois. Malgré l’arrivée de l’été, il faut quand même penser à se couvrir. Dès que le soleil se couche, un vent très frais se lève et les températures chutent énormément. J’étais bien contente d’avoir pris un pull, un foulard et même une veste légère. Je peux vous dire que les feux étaient magnifiques. 

D’ailleurs, comme on en rit ici, Jaanipäev sans pluie ce n’est pas Jaanipäev !  Je confirme. J’écris ces quelques lignes aujourd’hui, 23 juin 2021, alors qu’un énorme orage vient justement d’éclater au-dessus de nos têtes. Des amis m’ont même envoyé des vidéos de « petites » rivières et cascades se formant dans les rues de Tallinn où de nombreux arbres sont tombés. Jusque-là, tout va bien. On respecte la tradition !

Danses traditionnelles lors de la célébration de Jaanipäev au musée en plein air – Photo extraite de la vidéo de Yannick Bouissière

Pour les étrangers vivant en Estonie, Jaanipäev est grossièrement perçue comme une fête lors de laquelle on fait des feux, on mange des grillades et on boit de la bière. Si malheureusement cette vision est assez restrictive, on peut encore profiter de certains lieux typiques où célébrer le solstice d’été dans la tradition estonienne. Cette année, c’est mon ami Yannick qui a pu profiter du feu de camp, ainsi que des danses traditionnelles au musée en plein air aux abords de la ville. Il a trouvé cela très authentique et ancien. Cependant, il me disait que, comme il s’agit d’une fête familiale célébrée à la campagne, il n’avait pas vu toutes les traditions. Il aura tout de même été bien dépaysé le temps d’une soirée.

J’étais avec de jeunes Estoniens il y a quelques jours (de 17 à 21 ans) et j’en ai profité pour leur demander comment ils avaient l’habitude de célébrer Jaanipäev. Et bien, tous m’ont répondu: “en famille”. Cette tradition perdure même lorsqu’ils grandissent. C’est un moment privilégié qu’ils aiment passer avec leurs parents, grands-parents, frères et sœurs ainsi qu’avec les amis proches. Il passent ce jour de fête à faire des barbecues, des saunas (oui oui, même en été), à se reposer,  à profiter les uns des autres et à se balader. Beaucoup d’Estoniens ont une maison à la campagne. Ils aiment pouvoir échapper à l’effervescence de la ville et se reconnecter à la nature. C’est plutôt facile ici car les forêts recouvrent plus de 50% du territoire. Ils n’aiment pas rester enfermés chez eux en été (d’autant plus s’ils sont en appartement) et apprécient les activités extérieures comme s’occuper du jardin et du potager.

Comment les expatriés estoniens célèbrent-ils Jaanipäev ?

J’ai posé cette question à mon ami Sverre qui se trouve actuellement à Paris. Il m’a répondu qu’ils se retrouveraient entre Estoniens pour un pique-nique mais qu’il n’y aurait malheureusement pas de feu de joie, ce feu si  essentiel dans la célébration de Jaanipäev. Lui aussi a l’habitude de célébrer Jaanipäev à la campagne avec ses parents, grands-parents, amis. L’entourage n’est pas vraiment limité. 

Dans les villages d’autrefois

Feu de joie traditionnel

Traditionnellement dans les villages, il y avait une place principale pour les fêtes où tous les villageois se rassemblaient et faisaient des feux, dansaient, chantaient, mangeaient et buvaient de la bière. Il me raconte que l’on y trouvait également une grande balançoire qui permettait aux jeunes de se rencontrer. Il s’agit d’une très ancienne tradition, perçue comme une activité sociale, lors de laquelle les garçons et les filles pouvaient faire connaissance en montant sur la balançoire pour parler et s’amuser. Cette activité provoquant un peu d’adrénaline, facilitait les échanges.


Balançoire traditionnelle estonienne. Il existe même des compétitions dont le but est de faire des tours complets. Oui, c’est moi en haut à droite !

Les célébrations et traditions se poursuivent après la fin du feu

Lorsque le feu est au plus bas, le rituel veut que l’on saute par-dessus afin de démontrer son courage. Une sorte de jeu, surtout pour les jeunes hommes.

Jaanimardikas pour son nom en estonien – wikipedia.org

La fête se déroule jusqu’au petit matin et si les enfants sont généralement couchés avant 23h, pour Jaanipäev il est permis pour tout le monde de rester debout et d’attendre que le soleil se lève. Lors du crépuscule, les Estoniens vont se balader en forêt avec les enfants pour chercher les lampyres. Ce ver luisant dont la partie inférieure du corps s’illumine comme une petite lampe. Un phénomène féerique à observer !

Au petit matin, si vous avez fait une belle rencontre, sur la balançoire par exemple, vous pouvez inviter votre partenaire à aller chercher les fleurs de fougères. Il s’agit d’un « jeu d’amour ». Un code utilisé pour inviter son partenaire, car en réalité cette plante ne fait pas de fleur. « Veux-tu aller chercher la fleur de fougère avec moi ? »

« Notre culture, c’est la culture paysanne » me confie Sverre. Les Estoniens aiment passer du temps dehors. D’autant plus pour profiter du beau temps et de la lumière du jour, autant que possible !

Alors que les plus courtes journées d’hiver durent seulement six heures, ce que les Estoniens adorent, par-dessus tout, ce sont ces longues journées d’été de plus de 18 heures. Le 24 juin 2021, le soleil s’est levé à 4h05 et s’est couché à 22h41. Après avoir passé l’hiver à consommer de la vitamine D (très fortement recommandée ici), tout le monde se retrouve sur les terrasses fleuries des cafés et restaurants, dans les parcs, sur les plages… Partout où il est possible de profiter de la nuit blanche !

Pour conclure, ne cherchez pas les Estoniens en ville pour Jaanipäev. Ils sont tous à la campagne !

 

Sources :
riigipuhad.ee
estonia.ee
sunrise-and-sunset.com
wikipedia.org
Avec la contribution de Sverre Laanjärv et de Violaine Champetier de Ribes