Existe-t-il un lien humain au-delà de l’origine ethnique ou de la religion ? Cette question représente la clef de voûte de ce film philosophique et humaniste qui explore toute la complexité des relations humaines.
La décennie des années 1990 se construit autour d’un nouvel ordre mondial marqué par la disparition de l’un des deux principaux acteurs du contexte bipolaire sur la scène internationale : l’Union soviétique. Cette dislocation brutale a engendré un vent de revendications nationales : les multiples ethnies existantes en URSS ont peu à peu réclamé leur indépendance, notamment dans le Caucase. Cette région rassemblant plus d’une quarantaine d’ethnies s’avère être une véritable poudrière. En 1989, les nationalistes abkhazes ont exigé, par la Déclaration Lykhny, la création officielle d’une République socialiste soviétique séparée. Cet événement a engendré un conflit armé opposant les indépendantistes abkhazes à l’armée géorgienne, de 1992 à 1993. Bien que le décor historique choisi par le réalisateur géorgien Zaza Urushadze soit la guerre en Abkhazie, il l’aborde sous un angle tout à fait original. En effet, parmi les nombreuses ethnies installées au Caucase, il existait quelques villages estoniens depuis longtemps implantés, certains datant même de l’empire tsariste.
Dès la première scène, le spectateur se retrouve étonné par la situation ubuesque des soldats tchétchènes qui font une patrouille et croisent un villageois à la barbe cendrée, un Estonien, apparemment seul à habiter l’endroit. Ce vieil homme, Ivo, tout empreint de simplicité et de noblesse d’âme, est incarné par Lembik Ulfsak, véritable légende du cinéma estonien. À partir d’une situation tendue, il arrive à apaiser les rapports humains. La problématique de l’identité est d’emblée abordée par la question que les Tchétchènes posent à Ivo : « Tu es Russe ? » Jusqu’alors, on ne comprenait guère le titre du film. La réponse ne tarde pas puisqu’Ivo indique qu’un autre Estonien, Margus, habite non loin de sa maison et cultive des mandarines. Cette première rencontre entre les personnages principaux est imprégnée d’une note de candeur : les soldats soupçonnent que les caisses en bois fabriquées par le menuisier sont destinées à ranger des bombes, alors que c’est tout simplement pour stocker les fruits de son ami. Le film est rythmé par l’image récurrente d’Ivo en train de scier du bois dans son atelier, symbole de la préservation d’un quotidien apaisant cerné par la guerre.
L’intrigue s’enrichit par la découverte de blessés laissés pour mort : le Tchétchène Akhmed, apparu au tout début du film, et Niko, un jeune combattant géorgien grièvement touché à la tête, tous deux recueillis par Ivo et Margus. Ivo décide de les loger chez lui le temps qu’ils se rétablissent. La maison se transforme alors en une sorte d’arène internationale où Ivo joue le rôle de médiateur pour la paix. Les dialogues sont laconiques, mais les répliques des personnages sont extrêmement riches en implications philosophiques. Peu à peu, grâce à son regard profond et à son autorité naturelle, Ivo parvient à amadouer le tempérament montagnard et guerrier d’Akhmed, qui au départ était déterminé à ne faire qu’une bouchée du jeune Niko. Quant à ce dernier, qui était acteur avant la guerre, il se révèle plutôt romantique, regardant à plusieurs reprises la photo de la très jolie petite-fille de son sauveur, Marie.
Le film est ponctué par des moments de potentielle réconciliation entre Akhmed et Niko et des éclats de rires, brutalement interrompus par les bombardements, illustration peut-être pessimiste de l’impossible entente entre les peuples poussés par la folie humaine. Une unique mélodie enchante les séquences, envoûtante et douce, elle dévoile l’immensité de cette région montagneuse où règne la solitude. Ce décor immuable, mélancolique, ravagé par des années de guerre est néanmoins coloré par les plantations de mandarines qui apportent un signe d’espoir.
Un conte plus qu’un film, voire un récit de formation, qui captive d’un bout à l’autre. Zaza Urushadze, réalisateur habile et prometteur, délivre un message de paix en amorçant une réflexion sur l’aptitude à la tolérance de l’humanité.
Fiche technique
Mandariinid
Année : 2013
Genre : guerre, drame
Réalisateur : Zaza Urushadze
Scénario : Zaza Urushadze
Pays d’origine : Estonie, Géorgie
Producteur : Ivo Felt
Studio : Allfilms
Distributions : ACE Entertainments films
Son : parlant
Langue : estonien, russe, géorgien
Format: couleur
Photographie : Rein Kotov
Montage : Alexander Kuranov
Musique : Niaz Diasamidze
Durée : 87 minutes
Sortie géorgienne : 15/10/13
Prix et distinctions : 14 prix
Disponible en DVD
Budget : 650 000 €
Acteurs : Lembit Ulfsak, Elmo Nüganen, Mikheil Meskhi, Giorgi Nakashidze, Raivo Trass
C’est un film magnifique plein d’humanité. Merci, j’ai appris qu’on cultvait des mandarines au bord de la mer noire. J’ai compris une partie de l’histoire et conflit entre géorgien et tchétchènes . Après on se documente pour comprendre.. c’est ce qu’ internet permet de meilleur…