Le progrès scientifique est un processus collectif, mêlant les recherches et les théories d’hommes issus de différentes cultures. Les scientifiques s’inspirent, remettent en question, défont et refont en permanence le travail de leurs pairs. Aujourd’hui, il nous semble évident que la matière est constituée d’atomes,  que les êtres vivants sont faits de cellules, ou encore que le Soleil est au centre de notre système planétaire, tout cela grâce au travail de recherche des générations antérieures.

Karl Ernst von Baer

Nous devons une partie de ces découvertes à Karl Ernst von Baer, un Germano-Balte d’Estonie auquel on attribue le titre de “père de l’embryologie”. À la fois zoologiste et botaniste, ce brillant médecin ne s’est pas limité à la biologie mais s’est distingué également en tant que géographe, géologue et anthropologue. Sa polyvalence et son génie dans diverses disciplines lui ont valu de nombreux honneurs, comme la prestigieuse médaille de Copley qui récompense les scientifiques d’exception. 

C’est en 1792, dans le petit village de Piibe, en Estonie, que naît Karl Ernst von Baer, d’ascendance westphalienne. Il reçoit une éducation catholique à Tallinn (appelée à l’époque Reval) et étudie le français, le latin et le russe.

Il étudie la médecine de 1810 à 1814 à Tartu (Dorpat) avant d’étoffer ses connaissances à Vienne, Berlin et Würzburg de 1814 à 1817.

Il enseigne l’anatomie, puis la zoologie à l’université de Königsberg (actuelle Kaliningrad) à partir de 1817.

Christian Heinrich Pander

À l’université de Würzburg, il fait la rencontre d’un autre Germano-Balte, Christian Heinrich Pander, né en Lettonie et également médecin formé à Tartu. Celui-ci, à l’aide d’Ignaz Döllinger, professeur de physiologie à Würzburg, décrit les feuillets embryonnaires par observation d’embryons de poulet. Ces feuillets embryonnaires sont au nombre de trois : l’endoderme, le mésoderme et l’ectoderme. Ce sont des groupes de cellules donnant chacun lieu à différents types de tissus : l’endoderme est à l’origine du tube digestif et des glandes, le mésoderme des muscles et des vaisseaux sanguins, et l’ectoderme  de l’épiderme et du système nerveux.

Par la suite, von Baer poursuit les travaux en embryologie de son ami. L’observation d’une chienne lui permet de conclure que les œufs des mammifères se trouvent dans l’ovaire en 1827. C’est une découverte majeure dont il fait part dans son ouvrage De Ovi Mammalium et Hominis Genesis (Sur l’ovule des mammifères et l’origine de l’Homme).

Il observe également des embryons de reptiles, d’amphibiens et de poissons, et établit la loi de von Baer, selon laquelle les embryons présentent des traits généraux lors des stages précoces du développement et mettent en place leurs caractères spécifiques plus tardivement. 

Ses travaux sur l’embryologie le conduisent à approuver la théorie de Georges Cuvier, un anatomiste français, d’après laquelle les animaux seraient divisés en quatre catégories : les vertébrés, les annelés, les échinodermes et les mollusques.

En 1834, il se rend à Saint-Pétersbourg où il enseigne l’anatomie et la zoologie à l’Académie des Sciences, puis il se lance dans l’exploration de la Nouvelle-Zemble (Новая Земля, Novaya Zemlya, soit “Nouvelle Terre” en Russe), un archipel russe dont il décrit la faune et la flore. Il voyage également en Laponie, dans l’archipel d’Åland et en Suède.

Il profite de ses voyages pour étudier l’écologie. Il mène des recherches en ichtyologie, dont il est passionné, lors de son excursion en mer Caspienne.

De plus, il établit la loi de Baer selon laquelle la rotation de la Terre influence la capacité des courants à éroder leurs berges de préférence à droite dans l’hémisphère Nord et à gauche dans l’hémisphère Sud.

C’est tout naturellement qu’il intègre la Royal Geographical Society de Londres en 1845 puis l’Österreichische Geographische Gesellschaft en 1857. 

Ses nombreux voyages ont éveillé en lui une fascination pour l’anthropologie et l’ethnologie. Il manifeste donc un vif intérêt pour l’étude des crânes humains et fonde, en collaboration avec des craniologistes allemands, la revue Archiv für Anthropologie.

Le fuligule de Baer (Aythya baeri)

Ainsi, l’héritage qu’a laissé Karl Ernst von Baer à l’humanité s’étend de la biologie aux géosciences, en passant par l’anthropologie. C’est plus de quatre cents ouvrages qu’il laisse derrière lui. Une espèce d’oiseaux, le fuligule de Baer, porte son nom. Les billets de deux couronnes, monnaie de l’Estonie avant l’adoption de l’euro, arborent son portrait. Et un monument à son effigie est érigé à Tartu. La tradition veut que, chaque année, lors de la nuit de Walpurgis entre le 30 avril et le 1er mai, les étudiants lavent la tête de la statue avec du champagne !

Monument à Karl Ernst von Baer à Toomemägi, Tartu

 

Billet de deux couronnes à l’effigie de Karl Ernst von Baer

Bibliographie : 

– Karl Ernst von Baer [En ligne]. Disponible sur : https://www.britannica.com/biography/Karl-Ernst-Ritter-von-Baer-Edler-von-Huthorn

– KÄBIN Ilo, Karl Ernst von Baer (1792-1876), le fondateur de l’embryologie moderne  [En ligne]. Disponible sur : https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1998x032x001/HSMx1998x032x001x0057.pdf

– BROSSOLLET Jacqueline, « VON BAER, KARL ERNST (1792-1876) », Encyclopædia Universalis [en ligne]. Disponible sur : https://www.universalis.fr/encyclopedie/karl-ernst-von-baer/

– OPPENHEIMER JANE M., Science and Nationality: The Case of Karl Ernst von Baer (1792-1876). Proceedings of the American Philosophical Society, Vol. 134, No. 2 (Jun., 1990) 

– SCHMITT Stéphane « PANDER, CHRISTIAN HEINRICH (1794-1865) », Encyclopædia Universalis [en ligne], Disponible sur : https://www.universalis.fr/encyclopedie/christian-heinrich-pander/

– GOUDIE Andrew S., “Baer’s law of stream deflection”, Earth Sciences History, Vol. 23, No. 2 (2004), pp. 278-282 (5 pages) [en ligne], disponible surhttps://www.jstor.org/stable/24137095