Sans surprise, la crise sanitaire liée au coronavirus a rythmé l’été et septembre en Estonie. Après un retour à la normale début juillet, le pays a suivi l’apparition de foyers locaux de diffusion du virus. Fin juillet, alors qu’elle avait été globalement épargnée au printemps, la ville de Tartu est devenue le principal lieu d’infection du pays après qu’une personne porteuse du virus a fréquenté une boîte de nuit et différents centres commerciaux. Des foyers se sont déclenchés dans trois autres bars de la ville, ce qui a incité les autorités locales à interdire de nouveau la vente d’alcool la nuit. Depuis la mi-août, c’est au tour des régions du Virumaa et de Harjumaa (Tallinn) d’être attentivement suivies par les autorités sanitaires. À Tallinn, la mairie a décidé de réinstaurer un enseignement partiellement à distance dans les écoles de la ville. Ces mesures de prévention jugées trop sévères ont fait l’objet de critiques de la part du ministère de l’Éducation. Dans le reste du pays, les mesures demeurent modérées : distanciation sociale et limitation des rassemblements publics. Le port du masque n’est pas obligatoire, mais il est fortement conseillé. La vie quotidienne suit son cours normal autant que possible.

Pour faire face à la crise économique et à l’heure des premières discussions relatives au budget 2021, le gouvernement multiplie les actions pour limiter les effets négatifs du coronavirus. Après l’annonce d’emprunts inédits avant l’été, l’heure est à la répartition des fonds et certaines mesures rencontrent de fortes critiques. C’est notamment le cas pour l’aide de 40 millions d’euros octroyée au projet Porto Franco – un complexe d’immeubles ultra-modernes aux abords du Bassin d’Amirauté (Admiralteedi bassein), entre la vieille-ville et le port de Tallinn. Les professionnels du secteur de l’immobilier critiquent une aide publique illégale. Les partisans de la rigueur budgétaire critiquent également un budget très déficitaire.

Depuis plusieurs semaines, le ministre des Finances Martin Helme essuie les critiques. Le nouveau président d’EKRE est constamment interrogé sur le choix de son ministère de confier à un bureau d’avocats américain une mission de lutte contre le blanchiment d’argent. (Pour rappel, plusieurs banques estoniennes ont été impliquées dans des affaires au cours des dernières années, dont la Danske Bank.) L’entreprise choisie, dont l’un des avocats était jusqu’à récemment l’ancien directeur du FBI américain Louis Freeh, a récemment défendu des clients impliqués dans des affaires de blanchiment d’argent, une situation qui a rapidement fait craindre des risques de conflit d’intérêt. Des documents judiciaires américains ont également fait ressortir des liens avec la Russie, pays d’où étaient originaires certains fonds passés illégalement par les banques estoniennes. Martin Helme est d’autant plus critiqué que le choix du bureau américain s’est fait parmi un trio de bureaux qui entretenaient tous des relations avec des clients russes. L’opposition parlementaire a tenté d’obtenir le départ de M. Helme par une mention de censure, sans succès.

Mi-août, une polémique a éclaté après une cérémonie au cours de laquelle la présidente de la République Kersti Kaljulaid et le ministre de la justice Raivo Aeg ont récompensé des personnes impliquées dans la prévention de la violence en Estonie. Récompensé pour sa campagne sur le réseau social Twitter « See pole okei » (Ce n’est pas OK), l’écrivain Mikk Pärnits a créé la polémique en venant à la cérémonie vêtu d’une robe rose et de chaussures à talons. De plus, il a ciblé ledit modèle familial traditionnel comme cadre propice aux violences familiales. Cette déclaration a été peu du goût des partis politiques de droite et le ministre de la justice (Isamaa) a décidé de ne pas valider la remise du prix à M. Pärnits.

Plus généralement, la famille traditionnelle et surtout le mariage va être un sujet de premier plan au cours de l’année à venir. Dans leur accord de coalition signé en 2019, le Parti du Centre, Isamaa et EKRE ont convenu de l’organisation d’un référendum le jour de élections locales d’octobre 2021 pour savoir si les citoyens souhaitaient que le mariage soit défini dans la constitution comme l’union d’un homme et d’une femme. Toutefois, le consensus reste encore à trouver. La date du vote et la question à poser restent à déterminer. Le maire de Tallinn Mihhail Kõlvart (Parti du centre) juge inopportun de faire coïncider un référendum, inévitablement émotionnel, et un scrutin relatif aux enjeux locaux. De son côté, la chancelière du droit Ülle Madise a indiqué qu’il ne serait pas judicieux de faire coïncider ce vote avec les élections locales, les deux scrutins concernant des corps électoraux différents (les citoyens uniquement pour le premier, tous les résidents permanents pour le second).

À un an de la fin du mandat de la présidente Kersti Kaljulaid, l’élection présidentielle devient aussi un sujet de plus en plus récurrent. Encore marquées par les multiples scrutins de 2016, les formations politiques tentent d’y voir plus clair, d’autant que les partis de la majorité présidentielle ne sont pas unanimes. En effet, le Parti populaire conservateur EKRE et la cheffe de l’État entretiennent des relations très tendues, alors le Parti du Centre et Isamaa n’ont pas de reproches particuliers à faire à Kersti Kaljulaid. Cette dernière bénéficie aussi du soutien des partis de l’opposition. Toutefois, la présidente estonienne pourrait ne pas se représenter. En effet, l’ambassadeur estonien auprès de l’OCDE a déposé la candidature de l’actuelle cheffe de l’État au poste de secrétaire général de l’organisation.

Fin septembre, à l’occasion du 26e anniversaire de la catastrophe de l’Estonia, qui sombra en Baltique le 28 septembre 1994, entraînant la mort de 855 personnes, un documentaire suédois a relancé le débat concernant les causes de l’accident. Selon la version officielle établie dans les années 1990, le ferry a coulé après avoir perdu son étrave mobile. Toutefois, de nombreuses théories alternatives continuent de circuler et le nouveau documentaire vient à nouveau semer le doute. En effet, l’équipe de tournage a réalisé des plongées (interdites) auprès de l’épave et a découvert un trou inconnu dans la coque. La révélation de cette information a provoqué de nombreuses réactions en Estonie, en Suède et en Finlande. Le Premier ministre estonien Jüri Ratas a jugé qu’une nouvelle enquête semblait s’imposer. Le trou dans la coque confirme pour certains le fait que l’accident est le résultat d’une collision avec un sous-marin. D’autres se veulent très prudents et défendent la thèse selon laquelle le trou aurait été causé par le fond de la mer. Dans les jours suivants la diffusion du documentaire, l’affaire a pris un nouveau tournant avec la révélation par des experts de l’existence d’autres images qui mettent à mal l’argumentaire proposé par le film. En effet, d’autres trous ont été découverts lors des plongées récentes, ce qui confirmerait plutôt la thèse selon laquelle les trous sont postérieurs au naufrage.

En sport, l’Estonie a accueilli en septembre pour la première fois une épreuve du championnat du monde des rallyes (WRC). Grâce au coronavirus, le traditionnel rallye d’Estonie qui se déroule dans la région de Tartu et d’Otepää a été promu dans la cour des grands. Mobilisés au pied levé, les organisateurs ont réussi à relever le défi, notamment sanitaire. Pour le grand bonheur des fans estoniens, c’est le champion du monde en titre Ott Tänak qui a remporté l’épreuve. Le bon déroulement de cette première épreuve depuis le déclenchement de la crise du Covid-19 semble avoir séduit les responsables mondiaux ; le 1er octobre, la presse faisait part d’un calendrier 2021 où figurerait une épreuve le rallye d’Estonie.

Enfin, les Estoniens amateurs de cinéma ont attendu avec fébrilité la sortie de Tenet. Premier blockbuster hollywoodien à être présenté au public depuis le début de la crise, le film de Christopher Nolan était particulièrement suivi car une partie du tournage avait eu lieu à Tallinn en 2019.

Photo : ralliportaal.ee