Comme au cours des mois précédents, impossible de passer outre l’actualité liée au coronavirus en octobre. Comme ailleurs, la pandémie connaît un regain en Estonie, sans toutefois être pour l’instant catastrophique ; une baisse temporaire du taux d’incidence au cours du mois a même un temps fait penser que la « deuxième vague » était en phase de récession.

Depuis le début de la crise sanitaire, le gouvernement estonien maintient une position ferme en ce qui concerne les allées et venues de personnes vers et depuis l’étranger, à savoir l’interdiction des vols directs entre l’Estonie et les pays où le taux d’incidence est élevé. Cette politique rencontre toutefois des critiques car l’ampleur de la pandémie en Estonie atteint des niveaux similaires que dans des pays concernés par cette interdiction, par exemple la Suède. L’hypocrisie du gouvernement a notamment été pointée du doigt lorsque le ministère de l’économie (chargé des transports) a supprimé l’interdiction pour permettre au Premier ministre d’effectuer un vol entre la Suède et l’Estonie. Les professionnels du tourisme regrettent une stigmatisation des voyages à l’étranger alors que les personnes venant en Estonie ne jouent pas un rôle supérieur dans la diffusion du virus dans le pays.

Toutefois, quelques assouplissements ont été adoptés en ce qui concerne la quarantaine imposée aux personnes venant de pays à risque. Les trois États baltes et la Finlande se sont mis d’accord pour relever le taux d’incidence à partir duquel une quarantaine est requise. Enfin, depuis le 30 octobre, la période d’isolement à respecter a été réduite de 14 à 10 jours.

La crise du coronavirus a toutefois été concurrencée à la Une de l’actualité par une crise qui aurait pu aboutir à la chute de la coalition gouvernementale après des propos homophobes de la part de Mart Helme, ministre de l’intérieur et vice-président du parti d’extrême-droite EKRE, lors d’une interview à Deutsche Welle. Les propos ont été immédiatement condamnés par les partis de l’opposition, la présidente de la République, mais aussi des membres de la coalition gouvernementale, dont le Premier ministre. Pendant près d’une semaine, la classe politique est restée dans l’incertitude : Jüri Ratas allait-il œuvrer pour maintenir son gouvernement ? La crise a été d’autant plus suivie que les leaders d’EKRE ont retourné les critiques à l’encontre du Premier ministre, l’accusant de trahir l’accord de coalition. Après quelques jours de suspens, les trois partis qui forment le gouvernement ont réglé leurs différends. Certains voient dans les propos de Mart Helme un moyen de détourner l’attention d’une affaire concernant l’achat de son manoir dans l’est de l’Estonie à l’époque où il était ambassadeur d’Estonie à Moscou (fin des années 1990). D’autres y voient un acte de séduction de l’électorat russophone d’Estonie, car l’interview était conduite en russe.

La crise gouvernementale résolue, la question de l’homophobie n’a pas pour autant quitté l’actualité. Dès le lendemain, le député EKRE Urmas Reitelmann, également membre du conseil de la radio-télévision publique estonienne ERR, s’en prenait à deux journalistes de la chaîne publique ETV les qualifiant de « sodomites ». Face au tollé, l’auteur des propos n’a eu d’autre choix que de démissionner. Mais Martin Helme, le président d’EKRE, n’a pas manqué de demander la tête de Rein Veidemann, le président du conseil d’ERR, considérant que celui-ci ne faisait pas respecter l’obligation de diversité d’opinion à la télévision et à la radio publiques. Les attaques de la part d’EKRE contre ERR ont continué quelques jours plus tard avec la demande de Mart Helme de ne pas soutenir financièrement la construction d’un nouveau siège pour ERR, ce à quoi le ministre de la Culture Tõnis Lukas (Isamaa) a répondu que le projet était déjà entériné.

La question des couples homosexuels est d’autant plus présente que l’une des solutions pour sortir de la crise gouvernementale a été d’avancer l’organisation du scrutin autour de la définition du mariage au printemps 2021, le dissociant ainsi des élections municipales d’octobre 2021. Reste désormais à en fixer les modalités. Si le projet initial était de modifier la constitution, le format d’une consultation populaire non contraignante semble privilégié. Fin octobre, l’un des membres du groupe de travail a indiqué que deux questions proposées allaient être soumises à l’avis d’experts. Très vite, des juristes et des élus les ont critiquées. Formulées au présent, les questions donnent plutôt l’impression de vouloir tester les connaissances des Estoniens à propos de la loi actuellement en vigueur que de vouloir savoir ce que les citoyens souhaitent pour l’avenir.

Face au projet gouvernemental, ses opposants sont passés à l’action. Le parti Eesti 200 et les Verts (non représentés au Riigikogu) ont lancé une pétition demandant au Parlement l’ouverture du mariage à tous les couples, hétérosexuels comme homosexuels. Alors que 1000 signatures sont nécessaires pour qu’une pétition puisse être remise au président du Parlement, ledit texte, qui peut être signé jusqu’au 24 décembre, avait déjà recueilli plus de 34 000 signatures fin octobre. De leur côté, les partis de l’opposition, le Parti de la Réforme et les Sociaux-Démocrates ont annoncé ne pas se joindre à l’initiative, soulignant que leur objectif était l’adoption des décrets d’application de la loi sur l’union civile votée en 2014. Toutefois, les Sociaux-Démocrates, pressés par les Jeunes Sociaux-démocrates, ont réagi ; Indrek Saar, le président du parti, a annoncé proposer au conseil représentatif du parti de soutenir l’ouverture du mariage à tous, position validée le 1er novembre.

Dans le contexte du coronavirus, les choix financiers du gouvernement estonien pour lutter contre la crise continuent de faire parler, en particulier deux dossiers : la construction d’une église à Jõgeva (seule « capitale » régionale sans église) et l’emprunt consenti au projet immobilier Porto Franco à Tallinn. Dans le premier cas, c’est le côté exceptionnel de l’aide d’un million d’euros qui fait débat. L’État estonien, neutre en matière de religion, n’avait jusque-là jamais soutenu financièrement la construction d’une nouvelle église. L’ampleur de l’aide intrigue aussi compte tenu du fait que la paroisse de Jõgeva ne compte que 44 membres. De son côté, le président de l’assemblée municipale locale Aivar Kokk, dont le parti Isamaa a déjà donné son soutien à l’aide de la réserve parlementaire, défend le projet en précisant la dimension multifonctionnelle du futur bâtiment. Néanmoins, l’aide accordée provoque un débat sur les relations entre l’État estonien et l’Église luthérienne d’Estonie.

Le projet Porto Franco est lui au cœur d’une intrigue politico-financière. En effet, Hillar Teder, le père du propriétaire du projet, a fait un don de 60 000 euros au Parti du Centre en deux paiements en juillet et septembre. Si le donateur, habitué à soutenir financièrement les différents partis politiques estoniens, a justifié son geste par sa satisfaction de la politique du gouvernement, en particulier les efforts de l’exécutif pour faire venir le championnat du monde des rallyes en Estonie, les partis de l’opposition y voient la contrepartie de l’action gouvernementale en faveur du projet immobilier.

Au chapitre des relations entre l’Estonie et la France, le Premier ministre Jüri Ratas a été reçu par le président Emmanuel Macron au Palais de l’Élysée le 28 octobre. La rencontre a été conclue par la signature d’une déclaration sur un partenariat stratégique entre les deux pays.

Pour la troisième fois, la ville de Tallinn a échoué à obtenir le titre de Capitale verte de l’Europe. Finaliste pour le titre 2019, non-finaliste pour celui de 2020, la capitale estonienne a été cette fois-ci battue par Grenoble, qui sera en 2022 la deuxième ville française à porter cette distinction après Nantes en 2013. Obtenir le titre aurait une valeur symbolique pour la capitale estonienne, car le titre de Capitale verte de l’Europe est né du Mémorandum de Tallinn (2006), une initiative de l’actuel Premier ministre Jüri Ratas, alors maire de Tallinn. Encouragées par la place de finaliste cette année, les autorités de la ville de Tallinn ont déjà annoncé poser leur candidature pour le titre de 2023.

Tallinn a en revanche accueilli pour la première fois le Concours mondial de la gastronomie, le célèbre Bocuse d’or, avec la tenue du Bocuse d’or Europe. Remportée par la Norvège, la compétition a également vu la qualification de l’Estonie pour la finale mondiale de Lyon (juin 2021).

L’Estonie fait régulièrement parler d’elle en raison de sa politique en faveur des nouvelles technologies. Toutefois, la chute de l’Estonie au classement de l’index mesurant la politique numérique des pays de l’OCDE a fait bondir d’anciens dirigeants estoniens (Andrus Ansip, Toomas Hendrik Ilves) qui crient au démantèlement de l’e-Estonie. L’Estonie se situe même désormais sous la moyenne de l’OCDE. De son côté, le ministère de l’économie explique que de nombreux éléments de l’e-Estonie ne sont pas mesurés par l’index de l’OCDE.

Enfin, du côté des productions filmiques et télévisuelles, le public estonien découvre le nouveau film de Margus Paju (réalisateur de Supilinna Salaselts) O2, dans lequel un agent du renseignement militaire estonien (joué par Priit Võigemast) met à jour les projets d’invasion de l’armée Rouge en Estonie à la veille de la Seconde Guerre mondiale. À la télévision, le 800e épisode de la célèbre série télévisée Õnne 13, créée en 1993, a été diffusée sur ETV le 31 octobre.

Photo : Page Facebook Jüri Ratas