La guerre en Ukraine a sans surprise dominé l’actualité en Estonie au cours des mois d’avril et de mai. Les autorités estoniennes continuent de soutenir sans réserve l’Ukraine, avec notamment l’envoi d’une importante aide militaire. Sur le plan symbolique, le Riigikogu estonien a voté le 21 avril une déclaration dans laquelle il qualifie l’actuel conflit de génocide contre le peuple ukrainien, faisant de l’Estonie l’un des deux premiers pays au monde (le parlement letton a fait de même le même jour) à prendre une telle position. L’Estonie étant un soutien inconditionnel de l’Ukraine, les relations diplomatiques russo-estoniennes ont été réduites au minimum. Le consulat estonien de Saint-Pétersbourg et son antenne de Pskov ont été fermés, il en est de même pour le consulat russe de Narva et le bureau consulaire de Tartu.

Outre le suivi du conflit, l’Estonie doit faire face au défi de l’accueil des 30 000 réfugiés ukrainiens arrivés dans le pays depuis fin février. Après une période où ils ont pu être logés dans des hôtels, les nouveaux arrivants ont dû se mettre en quête de logements à louer, dans un contexte où les prix de l’immobilier en Estonie sont en constante augmentation. Les écoles doivent gérer l’accueil des enfants dans les écoles estoniennes, où la barrière de la langue empêche tout apprentissage, et dans les écoles russophones, où le risque de tensions n’est pas absent.

Sujet débattu à l’échelle européenne, la question des importations de gaz russe est très présente en Estonie. Les acteurs du secteur cherchent à développer des alternatives. L’une des idées les plus souvent avancées au cours des années passées est d’implanter un terminal GNL près du port de Paldiski. Dans le contexte de la crise ukrainienne, le projet est entré dans une nouvelle phase, non sans polémique. Annonce a été rapidement faite qu’un terminal flottant temporaire serait construit dans le cadre d’une collaboration esto-finlandaise, avant la construction d’un terminal pérenne sur la côte nord du golfe de Finlande. Malgré l’optimisme, des tensions ont émaillé l’avancée du projet : celui-ci doit-il être porté uniquement par des partenaires privés ou l’État doit-il intervenir pour parer aux éventuels retards et difficultés ? Si la réponse ne sera connue que dans quelques mois, le chantier a été lancé.

Moment craint par les autorités, les célébrations du 9-Mai (qui marque la fin de la Seconde Guerre mondiale) par les russophones d’Estonie se sont finalement déroulées sans incidents majeurs. Au cours des semaines précédentes, diverses mesures ont été prises pour anticiper les débordements. Ainsi, les autorités ont interdit le port des symboles nationalistes russes liés à la guerre en Ukraine, le ruban de Saint-Georges et la lettre Z, dès le 26 avril. En effet, cette date marquait les quinze ans du déplacement du Soldat de Bronze et des émeutes qui avaient éclaté à Tallinn et les pouvoirs publics ont voulu éviter les incidents pour cet événement-ci également, faisant ainsi de la date une sorte de test avant le 9-Mai. Dans le même temps, l’ampleur du programme a été réduite avec l’annonce fin avril de l’annulation du Régiment immortel, ce défilé au cours desquels les participants portent les portraits de soldats tombés lors de la Seconde Guerre mondiale.

Néanmoins, les monuments commémorant la fin de la Seconde Guerre mondiale ont été à la une de la presse pour plusieurs raisons. Le Soldat de bronze et le mémorial dédié aux victimes de la guerre situé dans le parc de Raadi à Tartu ont fait l’objet de dégradations. Dans ce contexte, les autorités locales de la ville universitaire ont demandé aux ministères de la Défense et de la Culture de déplacer le monument, qui est, à l’instar du Soldat de bronze jusqu’en 2007, une sépulture.

En avril et mai, la question de la pandémie de Covid-19 a presque disparu en Estonie. Après la levée des restrictions, différentes mesures prises montrent que la page est tournée. Les autorités estoniennes ont décidé de rendre les tests PCR payants, sauf pour les personnes âgées. Parallèlement, le développement de l’application Hoia, qui permettait de savoir si on avait été en contact avec une personne malade, a été arrêté. Malgré cela, le Covid n’a pas disparu du pays puisque 94 personnes étaient toujours hospitalisées fin mai.

La page du Covid-19 tournée, c’est l’inflation qui fait la une au cours des mois passés. Entre mars 2021 et mars 2022, les prix à la consommation, portés notamment par la hausse du prix de l’énergie, ont augmenté de 15,2 % (13 % pour le secteur des biens, 18 % pour les services). L’inflation n’avait plus dépassé 15 % depuis novembre 1996. Les données concernant la période avril 2021 – avril 2022 ont indiqué une inflation encore plus forte de 19 % et les données pour mai indiquent une inflation supérieure à 20 % en un an, avec une forte augmentation des prix dans les secteurs de l’énergie et du logement. En l’état actuel, aucune mesure n’a été annoncée pour contrer les effets de cette hausse. Au sein du gouvernement, le Parti du centre souhaite une basse des taxes alors que le Parti de la réforme demeure convaincu que la solution vient d’une accélération de la transition énergétique.

Au cours du mois de mai, la politique intérieure a en partie repris ses droits avec l’exacerbation des tensions et des désaccords entre le Parti de la réforme et le Parti du centre. Alors qu’il avait régulièrement semblé jouer un double jeu au cours des mois précédents, le Parti du centre s’est allié aux partis de l’opposition pour présenter un projet de loi visant à augmenter les allocations familiales. Actuellement, les deux premiers enfants d’une famille permettent à celle-ci de recevoir une aide de 60 euros mensuels par enfant et chaque enfant supplémentaire donne droit à une aide de 100 euros. Dans le même temps, toutes les familles qui ont trois enfants et plus reçoivent une allocation Famille nombreuse de 300 euros par mois (400 euros à partir de sept enfants). Les porteurs de la réforme souhaitent augmenter l’aide à 100 euros dès le premier enfant et augmenter l’aide aux familles nombreuses à 700 euros. Le Parti du centre y voit un moyen d’aider les familles estoniennes à faire face à la hausse des prix, Isamaa et EKRE souhaitent motiver les Estoniens à faire plus d’enfants pour garantir l’avenir du peuple estonien. De son côté, le Parti de la réforme, soucieux de maintenir des finances publiques saines, a clairement exprimé son rejet du projet qui coûterait 300 millions d’euros par an à l’État. Sur le plan politique, le soutien commun d’un membre de la coalition et des partis de l’opposition marquait officieusement la fin de la coalition gouvernementale, la Première ministre Kaja Kallas menaçant de démissionner si le projet était définitivement adopté (fin mai, le texte a été voté en première lecture, avant l’examen des éventuelles propositions d’amendements). Finalement, un désaccord autour d’un autre texte a poussé la cheffe de l’exécutif à demander au président Alar Karis de mettre fin aux fonctions des sept ministres centristes du gouvernement.

Succès littéraire en Estonie (traduit en français), les enquêtes de l’apothicaire Melchior sont arrivées dans les cinémas avec la première adaptation de l’œuvre d’Indrek Hargla. Depuis avril, les cinéphiles peuvent découvrir le film d’Elmo Nüganen Apoteeker Melchior avec Märten Metsaviir dans le rôle principal. Toujours en lien avec le monde des pharmacies, la célèbre pharmacie de la place de l’Hôtel-de-Ville de Tallinn a fêté ses 600 ans.

Enfin, fin mai, le Guide Michelin a décerné ses célèbres étoiles pour la toute première fois à des établissements estoniens. Parmi les 31 restaurants remarqués par le guide, deux restaurants situés à Tallinn, 180° et NOA Chef’s Hall, ont reçu une étoile.

Photo : Henry-Laur Allik / ERR