Après que le gouvernement estonien a déclaré l’état d’urgence dans le pays mi-mars, les mois d’avril et de mai ont été principalement rythmés par les nouvelles liées à la crise du coronavirus. Toutefois, la seconde moitié du mois de mai a été marquée par le retour d’une certaine normalité et la réapparition de thèmes plus divers.

Malgré les contraintes, les conséquences économiques, l’Estonie a échappé à une crise médicale majeure. Depuis les premiers décès fin mars, le Covid-19 a causé la mort de 69 personnes dans le pays, pour un total de 1940 personnes touchées (au 8 juin 2020). Si l’île de Saaremaa, particulièrement touchée, n’est pas un sujet de préoccupation, le virus continue de se répandre, principalement dans la région de Tallinn (le nombre quotidien de nouveaux cas dépasse rarement une dizaine). Les nouveaux cas sont principalement des personnes en provenance de l’étranger (Finlande, Suède) ou les employés de certaines entreprises où le virus se transmet en interne. Le nombre de personnes hospitaliers a décru au cours des semaines passées et s’établit actuellement à 14 patients.

Après plusieurs semaines au cours desquelles les habitants d’Estonie étaient appelés à rester chez eux, la vie a progressivement repris son cours mi-mai. Les îles, isolées du continent, ont été rouvertes le 8 mai, les villes ont peu à peu autorisé l’accès aux aires de jeux publiques (2 mai à Tartu, 11 mai à Tallinn). Les centres commerciaux et les musées ont de nouveau pu ouvrir leurs portes le 11 mai. Le 18 mai, salles de sport et piscines ont été de nouveau accessibles. Les cinémas ont dû patienter jusqu’au 1er juin. Le championnat de foot local a repris le lendemain de la levée de l’état d’urgence.

Cette fin de l’état d’urgence a été célébrée symboliquement le 17 mai. Pour l’occasion, un concert Kevad tuli teisiti (Le Printemps est arrivé différemment) a été organisé sur l’esplanade des chants de Tallinn en alliant les deux passions estoniennes, le chant choral et les nouvelles technologies. Avant de donner un concert drive-in, avec le public isolé dans des voitures, le chanteur Ivo Linna a interprété son célèbre titre Isamaa ilu hoieldes avec 2500 choristes « présents » sur scène par l’intermédiaire de tablettes.

En revanche, l’intégralité des événements publics a été annulée jusqu’à la fin du mois de juin et les autorités ont décidé que de tels événements ne pourraient avoir lieu en juillet et août qu’avec un public de 500 personnes en intérieur et de 1000 personnes en extérieur.

En ce qui concerne les déplacements vers et depuis l’étranger, l’Estonie et ses deux voisins baltes ont ouvert leurs frontières le 15 mai, recréant un premier espace de libre circulation, une première dans l’espace Schengen depuis le début de la crise sanitaire. Fin mai, l’Estonie a commencé à établir une liste des pays pour lesquels l’obligation de quarantaine était supprimée. Cela concerne notamment les voyageurs en provenance de France à partir du 8 juin.

Pendant que la population a progressivement retrouvé un rythme de vie « normal », la vie politique reprend ses droits et les polémiques ne manquent pas. Depuis plusieurs semaines, la crise rime avec « fraises ». En effet, les ministres EKRE mettent un frein à la venue de toute main-d’œuvre saisonnière extra-communautaire (majoritairement ukrainienne) très utilisée dans l’agriculture, et particulièrement par les producteurs de fraises. Arguant qu’il en va de la santé de la population estonienne, diverses mesures prises vont aussi clairement dans le sens du discours anti-immigration de la formation d’extrême-droite (il est explicitement fait référence à la nécessité de maintenir l’homogénéité ethnique du pays). Si dans un premier temps EKRE a souhaité obliger toute personne titulaire d’un visa de travail mais ayant perdu son emploi à quitter immédiatement le pays, les autres partis de la coalition ont fait infléchir la position et obtenu que ces personnes puissent rester jusqu’à la fin du mois de juillet.

Ainsi, une confrontation entre EKRE et porteurs de l’économie rurale agite le pays depuis plusieurs semaines. Les ministres estiment que priorité doit être donnée aux dizaines de milliers de nouveaux chômeurs estoniens et mettre fin à l’exploitation d’étrangers serviles payés faiblement (ce qui est contesté par les entrepreneurs). Arvo Aller, le ministre des affaires rurales, a de son côté proposé que les lycéens et les étudiants aillent, sur la base du volontariat, participer aux récoltes. De leur côté, les exploitants contestent que la main-d’œuvre spécialisée puisse être simplement remplacée par des employés d’autres secteurs, non qualifiés et peu intéressés par des missions jusqu’à l’automne. Néanmoins, le nombre de candidats aux offres d’emploi semble être suffisant pour éviter la perte de la récolte, tout du moins à proximité de Tallinn. L’Estonie du sud semble être dans une situation plus complexe, faute de bassin démographique proche. La situation est d’autant plus complexe que l’électorat d’EKRE est principalement rural, EKRE ayant été bâti à la suite de l’Union populaire (Rahvaliit), formation conservatrice et agrarienne.

Le débat sur la venue de ressortissants de pays hors Union européenne a également concerné les étudiants devant venir en Estonie pour la prochaine année universitaire. Le ministre EKRE de l’intérieur Mart Helme souhaite bloquer leur arrivée, expliquant que ces étudiants (sont visés principalement ceux d’Afrique et du sous-continent indien) ne venaient pas en Estonie pour étudier, mais pour travailler. Dès lors, ils n’étaient pas les bienvenus. M. Helme vise avant tout les étudiants qui travaillent comme livreurs de nourriture pour les entreprises Wolt et Bolt et ceux qui font venir leur famille. Le ministère de l’intérieur travaille donc à des amendements législatifs pour limiter le nombre d’heures de travail hebdomadaires à 16, pour empêcher certains regroupements familiaux et pour imposer un salaire équivalent au salaire moyen estonien pour les étrangers diplômés des universitaires estoniennes afin d’éviter la présence d’une main d’œuvre bon marché dans le pays.

Comme ailleurs, l’Estonie doit faire face à des difficultés économiques et financières. Les entreprises annoncent chaque jour des plans de licenciements, nombreux sont les établissements de restauration à mettre la clé sous la porte. Alors que la récession à venir est désormais estimée à 7 % du PIB, pour la première fois depuis dix-huit ans, le gouvernement estonien a décidé d’émettre des emprunts d’État pour un montant d’un milliard pour une durée de dix ans.

Enfin, 30 ans s’étant écoulés depuis les événements de la Révolution chantante, certains temps forts de l’année 1990 ont été commémorés. Ainsi, en mai, les médias ont pu évoquer l’attaque du château de Toompea par les partisans de l’Interfront opposés aux mesures autonomistes prises par le gouvernement estonien d’Edgar Savisaar (issu des premières élections libres) et le célèbre appel de ce dernier aux Estoniens pour qu’ils défendent le siège du Parlement et du gouvernement. Pris au piège dans la cour du château, les pro-URSS n’avaient eu d’autre choix que quitter les lieux.

Photo : Priit Mürk – ERR