En mars, l’actualité a été tout d’abord politique. Depuis plusieurs mois, les rapports de force au sein du Conseil municipal de Tallinn étaient très observés par les élus. En raison du départ de plusieurs élus du Parti du centre, la coalition Parti du centre – Parti social-démocrate devenait de plus en plus fragile et les partis de l’opposition attendaient avec fébrilité une opportunité pour faire tomber le Parti du centre, aux commandes de la capitale estonienne depuis 2005 grâce une majorité absolue inébranlable. À partir de 2021, le Parti du centre a dû faire du Parti social-démocrate son allié pour se maintenir au pouvoir, mais dans une situation où chaque voix comptait, chaque défection avait son importance dans un rapport de force instable. Et chaque erreur d’inattention pouvait tout faire capoter pour l’opposition, comme après que l’élue Maria Jufereva-Skuratovski (désormais Parti de la réforme) a déclaré une adresse de résidence hors de Tallinn, ce qui lui a fait automatiquement perdre son siège, au profit de son ancien parti…
C’est dans ce contexte que, le 18 mars, la cour d’appel de Tallinn a rendu son arrêt dans le procès Porto Franco (du nom d’un projet immobilier à Tallinn), dans le cadre duquel sont jugés le Parti du centre et son ancien secrétaire général Mihhail Korb et l’homme d’affaire Hillar Teder pour trafic d’influence. Alors que les trois accusés avaient été blanchis à l’issue du procès en première instance, la cour d’appel de Tallinn a jugé au contraire que ceux-ci étaient coupables, condamnant le Parti du centre à un million d’euros d’amende, Mihhail Korb à un an et deux mois d’emprisonnement avec sursis et Hillar Teder à un an et cinq mois d’emprisonnement avec sursis. Les trois accusés ont annoncé se pourvoir en cassation.
Au-delà de l’aspect purement judiciaire de cette affaire dont le déclenchement avait eu pour principale conséquence la démission du gouvernement de Jüri Ratas (membre à l’époque du Parti du centre) en janvier 2021, la condamnation du Parti du centre a entraîné des conséquences immédiates dans la politique locale tallinnoise. Pour les quatre partis de l’opposition municipale (Parti de la réforme, Isamaa, Eesti 200, EKRE), ce revirement judiciaire devait conduire à une issue : la fin des années Parti du centre à Tallinn et du clientélisme. Il restait toutefois à convaincre les Sociaux-Démocrates de lâcher leur allié. Cela a été chose faite le 26 mars lors du vote d’une motion de censure contre le maire Mihhail Kõlvart (par ailleurs président du Parti du centre). La veille, la section tallinnoise du PSD avait fait le choix de quitter la coalition, estimant qu’il n’était plus possible de collaborer avec le Parti du centre. L’issue du vote de la motion de censure n’était toutefois pas certaine en raison des équilibres fragiles au conseil municipal. Néanmoins, le PSD, le Parti de la réforme, Isamaa, Eesti 200, avec le soutien de deux non-inscrits (anciennement Parti du centre) et de deux élus qui ont choisi de changer de bord (en quittant le Parti du centre et EKRE, cette dernière formation ne voulant pas cautionner la mesure car les quatre partis avaient clairement indiqué ne pas vouloir d’une nouvelle coalition avec l’extrême droite), ont réussi à réunir les 40 voix nécessaires (41 voix) et à mettre fin au règne du Parti du centre dans la capitale. Dans la foulée, la maire-adjointe Madle Lippus (PSD) a été désignée pour assurer l’intérim jusqu’à l’élection d’un nouveau maire.
Dès l’issue du scrutin s’est ensuite posée la question de la coalition qui allait remplacer celle en place. Faire tomber le maire était une chose, gouverner en est une autre. Au-delà de la nécessité de s’accorder sur un programme d’action pour l’année et demie à venir (jusqu’aux élections locales d’octobre 2025), les quatre partis alliés contre le maire M. Kõlvart doivent entre autres compter sur le soutien de non-inscrits. De plus, le retour du maire et de ses adjoints au sein de l’assemblée municipale va entraîner des changements dans le poids de chaque groupe (l’ancienne opposition peut compter sur le soutien d’un ancien de la majorité passé dans l’opposition, toutefois, si cet élu est le suppléant d’un des membres de l’exécutif municipal, ce soutien va disparaître dès le retour du titulaire du siège). De même, EKRE a choisi de faire revenir au Conseil municipal la titulaire du siège du renégat qui a soutenu la chute de M. Kõlvart, faisant perdre ainsi une voix à la nouvelle coalition espérée.
Le 16 mars, le ministre de la Justice Kalle Laanet (Parti de la réforme) a démissionné de son poste. Il mettait ainsi fin à plusieurs semaines de polémiques l’impliquant. Tout d’abord, ce sont les tensions entre lui et la Procurature qui ont fait l’actualité. Le 10 mars, le journal Eesti Ekspress a révélé que les procureurs accusaient le ministre de la Justice d’intervenir dans leur travail. Comme pour ajuter de l’eau au moulin des suspicions, deux jours plus tard, le ministre a officiellement ordonné l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du procureur général Andres Parmas, dont l’implication dans sa mission serait insuffisante. De plus, comme pour renforcer les tensions, le procureur général, dont le mandat touche à sa fin, a échoué à se faire élire président de la cour d’appel de Tallinn. Toutefois, c’est une tout autre raison qui a poussé K. Laanet à démissionner. Il a été révélé que l’appartement qu’il louait aux frais du ministère (le ministre vivant officiellement sur l’île de Saaremaa) appartenait à une entreprise de son beau-fils, une pratique interdite.
À l’approche des élections européennes de juin 2024, les partis politiques estoniens annoncent progressivement la liste des candidats en lice pour l’un des sept sièges que compte l’Estonie au Parlement européen. Parmi les sept députés actuels, cinq (Sven Mikser, Marina Kaljurand, Urmas Paet, Jana Toom, Riho Terras) sont présents sur les listes annoncées par les partis politiques. Si le parti EKRE n’a pas encore fait part de ses candidats, et donc si Jaak Madison sera candidat à une réélection, il faut noter que le Parti de la réforme a choisi de se passer d’Andrus Ansip, Premier ministre de 2005 à 2014, commissaire européen entre 2014 et 2019 et député européen depuis 2019, très critique envers la direction de son parti. De leur côté, plusieurs personnalités qui ont quitté le Parti du centre ces derniers mois seront présentes sur la liste d’autres formations : Tanel Kiik (Parti social-démocrate), Maria Jufereva-Skuratovski (Parti de la réforme) et surtout Jüri Ratas (Isamaa).
Après les élections législatives de 2023, la question du déficit budgétaire, et donc des différents impôts, s’est imposée comme une question centrale du débat politique. Le gouvernement en place a déjà adopté une augmentation de deux points du taux de TVA (22 % à partir du 1er janvier 2024), mais d’autres mesures sont prévues, par exemple la très décriée taxe automobile. En mars, c’est l’annonce d’un projet de taxe sur les boissons sucrées, dite taxe Sucre ou taxe Limonade, qui a alimenté le débat. Si l’objectif premier du ministère de la Santé est d’inciter les Estoniens à consommer des produits plus sains, le contexte a sans surprise entraîné des critiques condamnant un matraquage fiscal des Estoniens. De leur côté, les entreprises concernées ont dénoncé un projet qui allait mettre en péril leurs activités économiques et réduire le pouvoir d’achat des moins aisés.
Le 14 mars, le basketteur Henri Drell est devenu le second Estonien à prendre part à un match de la prestigieuse ligue américaine NBA. Le joueur sous contrat avec les Bulls de Chicago a rejoint Martin Müürsepp, l’unique Estonien à avoir joué dans le championnat nord-américain, pour les équipes de Miami et de Dallas à la fin des années 1990.
Avec la fin de la saison des sports d’hiver, le bilan des performances estoniennes a satisfait les observateurs. S’il a terminé à la cinquième place du classement général pour la troisième année de suite, le spécialiste de combiné nordique Kristjan Ilves a terminé la saison avec cinq podiums, deux de plus qu’en 2022-2023. Grâce à deux nouvelles deuxièmes places et trois nouvelles troisièmes places, Ilves compte désormais autant de podiums en coupe du monde que le médaillé de bronze des Jeux olympiques de 1988 Allar Levandi entre 1987 et 1993. De son côté, la biathlète Tuuli Tomingas a obtenu le meilleur classement d’une Estonienne au général de la coupe du monde avec une 21e place finale.
En mars, l’étape de coupe du monde d’escrime organisée en Chine représentait la dernière chance pour l’équipe féminine d’épée d’obtenir son billet pour les Jeux olympiques de 2024. Malheureusement pour celles qui avaient décroché l’or à Tokyo en 2021, une défaite tôt dans la compétition a définitivement mis fin aux espoirs des escrimeuses, qui ne pourront pas défendre leur titre à Paris. Conséquence de cet échec, une seule Estonienne, qualifiée à titre individuel, sera engagée à Paris et tentera de succéder à Katrina Lehis, médaillée de bronze au Japon.
Enfin, deux commémorations particulières ont eu lieu en mars. Mars 2024 a d’abord marqué les 80 ans des bombardements menés par l’armée Rouge en 1944 et au cours desquels les principales villes estoniennes ont été en partie (Tallinn, Tartu) et entièrement (Narva) détruites. Aussi, l’Estonie s’est souvenu des milliers de personnes déportées 75 ans plus tôt, lors des déportations de mars 1949.
Photo : ERR – Priit Mürk