En Estonie, l’année 2024 est placée sous le signe de la culture. Le ministère de la Culture a déclaré 2024 Année de la diversité culturelle. L’objectif est de mettre en avant et de promouvoir la multiculturalité du pays avec ses différentes communautés. De même, 2024 était très attendue à Tartu et dans les communes du Sud de l’Estonie, avec le lancement de l’année culturelle européenne. Tartu 2024, soit plus de mille événements au cours de l’année, a été officiellement lancé le 26 janvier avec un spectacle sur les berges de l’Emajõgi dans le centre de Tartu.

Venue souhaitée depuis longtemps, l’Estonie a reçu le 11 janvier pour la première fois la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le chef d’État ukrainien est arrivé à Tallinn la veille en provenance de Vilnius et est reparti en fin de journée pour Riga. Le court mais intense séjour de Volodymyr Zelensky dans la capitale estonienne a débuté par une rencontre avec le président Alar Karis. En marge de cette rencontre, le chef de l’État estonien a décerné la Croix de l’aigle 1re classe avec épées, la plus haute distinction estonienne remise pour services rendus dans le domaine militaire et de la défense, au « soldat ukrainien » pour sa défense du monde libre et de l’Ukraine et son courage exceptionnel. Il s’agissait de la onzième fois seulement qu’une telle décoration était décernée, la première depuis 1930. (La 1re classe avec épées de l’ordre de la Croix de l’aigle a été remise aux principaux militaires estoniens de la guerre d’indépendance ainsi qu’au Finlandais Mannerheim et au Polonais Piłsudski.) Ensuite, le président ukrainien s’est rendu sur la colline de Toompea, où il a rencontré la Première ministre Kaja Kallas avant de prononcer un discours devant les députés estoniens au Riigikogu.

La venue de Volodymyr Zelensky a constitué une épreuve pour les services de sécurité estoniens, pour qui cette visite a requis un investissement sans précédent, que même des visites comme celle de Barack Obama en 2014 n’avaient pas exigé. Environ 20 % des forces de police du pays ont été mobilisés. De plus, afin d’éviter les risques, aucune rencontre avec la population n’a été organisée.

Sur la scène politique, janvier s’est inscrit dans la continuité des mois précédents, avec de nouveaux départs de personnalités politiques du Parti du centre. Dans un premier temps, ce sont six députés qui ont annoncé quitter le parti. Parmi eux, Tanel Kiik, candidat malheureux à la présidence du parti en septembre, Jaak Aab, secrétaire du parti entre 2016 et 2017 et Andre Hanimägi, secrétaire du parti de 2021 à 2023. Si les députés Enn Eesmaa et Kersti Sarapuu, figures du parti depuis le début des années 2000, ont fait le choix de n’adhérer à aucune autre formation, les quatre autres partants ont opté pour le Parti social-démocrate. Ce transfert permet à la coalition gouvernementale d’être renforcée au Parlement (même si ces quatre députés ne peuvent pas rejoindre officiellement le groupe parlementaire social-démocrate en vertu du règlement du parlement qui stipule qu’un groupe ne peut être formé que de députés élus via la liste d’un seul parti). Dans les semaines suivantes, tous les regards sont restés braqués sur Jüri Ratas, président du parti jusqu’en septembre 2023 et dernier député n’appartenant pas à l’équipe du président actuel du parti Mihhail Kõlvart. Le départ de Jüri Ratas ne faisait plus aucun doute à partir du moment où il a annoncé qu’il ne pourrait pas être sur la même liste que l’actuelle députée européenne Jana Toom (à qui Ratas reproche d’avoir financé les frais d’avocat de personnes expulsées d’Estonie pour activités anti-estoniennes) lors des élections européennes de juin 2024. Le suspens portait sur la question de savoir quelle formation Jüri Ratas allait choisir pour la suite de son engagement politique. Finalement, le 29 janvier, celui qui avait permis au parti d’être à la tête de l’exécutif estonien de 2016 à 2021 a annoncé que lui aussi tournait cette page de sa vie politique. Toutefois, contrairement aux personnes mentionnées plus haut, Jüri Ratas a choisi de rejoindre Isamaa (droite). Avec tous ces départs, le Parti du centre, qui avait obtenu seize députés dans le cadre des élections de mars 2023, ne compte plus que six députés au Riigikogu. Les observateurs de la vie politique se demandent ce que va devenir ce parti, qui était il y a encore quelques années l’un des poids lourds du Parlement, avec notamment la question de savoir si les électeurs estoniens vont continuer à voter pour ce parti et s’il ne va pas se transformer en parti des seuls russophones.

Sur le plan économique, le 1er janvier 2024 a marqué l’entrée en vigueur de la hausse du taux de TVA décidée par le gouvernement. Jusque-là de 20 %, la TVA estonienne s’établit désormais à 22 %. Dans ce contexte, les pratiques des grandes surfaces ont été scrutées. Si certaines enseignes ont joué le jeu en n’appliquant que la hausse de la TVA, d’autres ont été épinglées pour en avoir profité pour augmenter un peu plus leurs prix.

Toujours dans le domaine des dépenses du quotidien, le 22 janvier, une page a été tournée avec la fin de la gratuité dans les transports publics régionaux. Ce système avait été mis en place en 2018 dans onze des quinze régions d’Estonie par la coalition gouvernementale dirigée par Jüri Ratas. Cinq ans plus tard, le gouvernement de Kaja Kallas a décidé de supprimer la gratuité pour les adultes (les trajets demeurent gratuits pour les moins de 19 ans, les plus de 63 ans et les adultes handicapés et les personnes en incapacité de travailler). Les partisans de la gratuité ont condamné la mesure qui, selon eux, va peser sur les finances des ménages. De son côté, le ministère de l’Intérieur se défend en arguant que la gratuité avait entraîné la disparition de certaines lignes et qu’une partie des voyageurs avait choisi d’autres moyens de transport, faute de ligne adaptée. L’entrée en vigueur des nouveaux tarifs a fait resurgir l’éternel débat sur les transports publics et l’(in)adaptation du réseau aux besoins réels des Estoniens (certaines lignes demeurant un héritage des logiques en place à l’époque soviétique).

Après la grève d’avertissement de novembre et l’échec des négociations fin 2023 et début 2024, les enseignants ont débuté une grève illimitée le 22 janvier afin de réclamer la hausse de salaire promise en 2023 et, au fur et à mesure que le débat a évolué au fil des semaines, de meilleures conditions de travail (notamment la rémunération des nombreuses tâches annexes effectuées dans le cadre du travail scolaire). Le début de la grève a été attendu avec appréhension (la dernière grève remontant à une dizaine d’années), notamment par les communes qui devaient organiser la prise en charge des enfants. La situation était d’autant plus floue que chaque enseignant était libre de faire grève les jours qu’il souhaitait. (Afin d’éviter cette charge, certaines communes ont proposé aux enseignants non grévistes l’équivalent d’un salaire et demi les jours de grève !) Pendant une semaine, alors que les enseignants étaient en grève, le gouvernement et les syndicats ont continué de discuter pour trouver une solution à la crise, notamment pour savoir où trouver les 10 millions nécessaires pour répondre aux demandes des syndicats. Fin janvier, la ministre de l’Éducation Kristina Kallas (Eesti 200) a finalement annoncé que 5,7 millions d’euros avaient été réunis sur le budget d’une partie des ministères (principalement ceux tenus par Eesti 200 et les Sociaux-Démocrates, le Parti de la réforme ne souhaitant pas participer à l’effort financier), ce qui permettait une hausse supplémentaire du salaire minimum brut des enseignants de 17 euros pour 2024 (soit 1820 euros). Si les syndicats réclamaient initialement un salaire de 1835 euros, ils ont accepté la proposition car ils ont aussi obtenu la promesse d’une ouverture de négociations visant à l’adoption d’une convention collective nationale avant la fin de 2024

Le 1er janvier, la loi autorisant les couples homosexuels à se marier est entrée en vigueur. Dès les premiers jours de l’année, les couples désireux de se marier ont pu déposer leur dossier. Selon les données des bureaux de mariage, une cinquantaine de couples a fait une demande au cours du mois. Compte tenu du délai légal d’un mois entre le dépôt du dossier et la cérémonie du mariage, les premières unions ont été célébrées les premiers jours de février.

Janvier a aussi été marqué par le décès de Vaino Väljas à l’âge de 92 ans. Premier secrétaire du Parti communiste d’Estonie de mai 1988 à mars 1990, celui qui a ensuite été surnommé le Grand Silencieux, en raison de son choix de ne pas s’exprimer par la suite sur la question, a été l’un des acteurs de la Révolution chantante estonienne. Homme de confiance de Mikhaïl Gorbatchev, Vaino Väljas a notamment permis, le 16 novembre 1988, l’adoption par le Soviet suprême de la déclaration de souveraineté de l’Estonie qui affirmait la primauté des lois estoniennes sur les lois soviétiques.

Le 16 janvier, l’université de Tartu a annoncé que les services de sécurité estoniens, la Kapo, soupçonnaient le professeur Viatcheslav Morozov, spécialiste en théorie des relations internationales, d’activités d’espionnage au détriment de l’Estonie. Quelques jours auparavant, l’établissement d’enseignement supérieur avait mis fin au contrat de l’enseignant-chercheur, placé en détention provisoire pour deux mois depuis début janvier. Morozov, employé à l’université depuis 2010, est soupçonné d’avoir transmis des informations aux services secrets de la Fédération de Russie lors de ses nombreux allers-retours entre l’Estonie et son pays d’origine.

Les autorités estoniennes ont aussi annoncé qu’elles refusaient de prolonger le permis de séjour du métropolite Eugène, primat de l’Église orthodoxe d’Estonie (Patriarcat de Moscou) et citoyen russe, et que celui-ci devrait quitter l’Estonie le 6 février au plus tard. Aux yeux des autorités, Eugène n’a pas suffisamment pris ses distances par rapport aux déclarations du patriarche Cyrille favorables à la guerre menée par la Russie en Ukraine, et il est considéré comme un agent du Kremlin en Estonie. Rejetant les accusations portées contre lui, Eugène a néanmoins pris acte de la décision et a déclaré qu’il allait continuer à poursuivre ses activités à la tête de l’Église orthodoxe d’Estonie depuis la Russie.

À quelques semaines de la fête nationale, le 24 février, la réception présidentielle organisée pour l’occasion s’est retrouvée à la Une de la presse après que le président a annoncé qu’il n’inviterait qu’une partie des élus du Riigikogu. Contrairement aux années précédentes, où les 101 élus étaient invités, Alar Karis a décidé de ne convier que le président et les vice-présidents de l’assemblée, les onze présidents de commission et le président de chacun des six groupes parlementaires. Justifiée par un manque de place au théâtre Estonia, cette décision a provoqué l’indignation d’une partie des parlementaires déçus. Ces derniers y voient une absence de respect des institutions (les experts des institutions estoniennes estiment quant à eux que chacun des députés ne représente pas une institution en soi). Dans les jours qui ont suivi, la Première ministre Kaja Kallas a annoncé qu’elle ne participerait pas à la réception présidentielle, par solidarité avec les députés.

Le changement d’année correspond traditionnellement à la publication des nouvelles statistiques démographiques. En 2023, la population estonienne a augmenté de 607 personnes pour atteindre le nombre de 1 366 491. Cette augmentation a été possible grâce à un solde migratoire positif avec l’arrivée de 20 209 personnes dans le pays (pour 57 % en provenance d’Ukraine), pour 14 491 départs. Toutefois, cette évolution a été fortement contrebalancée par le solde naturel qui demeure négatif. 10 721 naissances ont été enregistrées en 2023, soit le plus faible nombre de naissances sur une année depuis 1919, pour 15 832 décès.

Enfin, en sport, le mois de janvier a souri aux sportifs estoniens. Déçu de ne pas avoir réussi à monter sur le podium lors de son épreuve fétiche, le 1000 m, le patineur de vitesse Marten Liiv a remporté la médaille d’argent du 500 m aux championnats d’Europe à Heereveen, aux Pays-Bas. Six jours plus tard, aux championnats d’Europe de patinage artistique à Kaunas (Lituanie), Aleksandr Selevko a créé la surprise en terminant à la deuxième place derrière le Français Adam Siao Him Fa. Cette médaille d’argent constitue la toute première du patinage artistique estonien.

Photo : riigikogu.ee / Erik Peinar