Le 3 mars dernier, les électeurs estoniens étaient appelés aux urnes pour élire leurs 101 députés pour la prochaine législature de quatre ans.

Légèrement en baisse par rapport à 2015, le taux de participation a été de 63,7 % des inscrits. Le scrutin de 2019 a été surtout marqué par l’augmentation du nombre de suffrages exprimés par Internet avec 247 000 bulletins, soit 44 % des votants. Il y a quatre ans, le vote en ligne avait été choisi par 30 % des votants.

Comme lors des trois dernières élections législatives, c’est le Parti de la réforme (centre-droit libéral) qui est arrivé en tête avec 28,9 % (+1,2), soit un nombre record de 34 députés (+4). La formation de Kaja Kallas a devancé son rival le Parti du centre (centre-gauche), qui a obtenu 23,1 % des suffrages (-1,7), soit 26 députés (-1). Parti avec le moins de députés au Parlement entre 2015 et 2019, le parti d’extrême-droite EKRE est arrivé en troisième position avec 17,8 % des voix (+9,7), ce qui le permet d’obtenir 19 députés (contre 7 en 2015). Deux autres formations ont obtenu un score supérieur au seuil requis de 5 % pour être représenté au Riigikogu : Isamaa (ex-IRL) avec 11,4 % (-2,3 ; 12 sièges) et le Parti social-démocrate avec 9,8 % (-5,4 ; 10 sièges).

Formation née en 2018, le parti Eesti 200 n’a pas réussi son pari d’entrer au Parlement, n’obtenant que 4,4 % des votes. De son côté, le Parti libre, qui avait réussi à remporter 8 sièges de députés pour sa première campagne en 2015, n’a pu que constater son échec en ne séduisant que 1,2 % des votants (-7,5 %), ce qui le fait disparaître de l’assemblée estonienne. Enfin, les Verts (1,8 % ; +0,9), le Parti de la diversité de la vie(1) (1,2 %), le Parti de la gauche unifiée (0,1 %) et les candidats indépendants n’ont pas eu d’influence sur les résultats.

Grâce à sa victoire, le Parti de la réforme devrait revenir au gouvernement, dans lequel il avait siégé entre 1999 et 2016, année où il a été poussé dans l’opposition par l’alliance de ses partenaires de la coalition, les sociaux-démocrates et Isamaa, avec le Parti du centre. Donnée perdante face à ce dernier pendant de longues semaines, la formation libérale a su mobiliser son électorat, comme en témoigne notamment son score parmi les votes électroniques (40 %). Kaja Kallas, sa présidente, a elle obtenu plus de 20 000 voix dans la quatrième circonscription.

Principale force d’opposition jusqu’en 2016, le Parti du centre n’a pas réussi à tirer profit de ses deux années à la tête de l’exécutif. Il semblerait même que ce retour dans un gouvernement, une première depuis 2007, ait joué contre la formation du Premier ministre Jüri Ratas, comme en témoigne la participation en baisse et le relatif faible nombre de voix obtenues dans les circonscriptions traditionnellement pourvoyeuses d’un large soutien, en raison de la présence de populations russophones importantes. Dans les circonscriptions nº 1 (districts tallinnois de Haabersti, Kristiine et Põhja-Tallinn) et nº 2 (districts de Kesklinn, Pirita et Lasnamäe), le Parti du centre a perdu respectivement 2000 et 5500 voix, dans l’Ida-Virumaa, il en a perdu 6500. Même les figures du parti ont moins mobilisé. Dans l’Ida-Virumaa, la députée européenne Yana Toom a par exemple vu son score diminuer de plus de 5000 voix(2). Enfin, dans la circonscription nº 4, la plus peuplée des 12, Jüri Ratas a obtenu moitié moins de voix que son adversaire Kaja Kallas.

L’autre vainqueur mathématique et politique du scrutin est de toute évidence le Parti populaire conservateur (EKRE). Entré au Riigikogu en 2015 pour ses premières élections législatives (7 députés)(3), EKRE continue de s’ancrer dans le paysage politique estonien en se posant comme le dernier rempart face à l’influence culturelle étrangère (il s’oppose à l’immigration, défend une vision traditionnelle de la famille…) Il a notamment terminé en tête des votes dans le Pärnumaa, où son chef Mart Helme était candidat, avec 28 % des voix et dans la circonscription Põlvamaa-Valgamaa-Võrumaa (24,7 %) et est arrivé en deuxième position dans toutes les autres circonscriptions sauf les trois de Tallinn et l’Ida-Virumaa.

Dépasser la barre des 5 % a longtemps été l’objectif d’Isamaa tant les sondages n’étaient pas favorables. Finalement, la formation historique de droite a su redresser la barre lors des dernières semaines de campagne, au point de dépasser les sociaux-démocrates et de limiter les pertes en sièges. Avec 12 députés, Isamaa pourrait être un acteur clé pour la formation de la future coalition gouvernementale.

Enfin, le Parti social-démocrate a perdu un tiers de ses députés et est désormais la plus petite force au parlement. La formation dirigée par Jevgeni Ossinovski semble payer le prix de sa politique fiscale sur les produits alcoolisés, qui poussent de plus de plus en d’Estoniens à se rendre en Lettonie pour s’approvisionner et font baisser le nombre de Finlandais venant à Tallinn, et d’un discours trop pointu. Si ses têtes d’affiche féminines comme Marina Kaljurand (Harjumaa-Raplamaa) ou Katri Raik (Ida-Virumaa) ont séduit, certaines figures historiques (Eiki Nestor) ou d’autres ralliements (Indrek Tarand dans le Pärnumaa) ont échoué à se faire élire.

La seule véritable incertitude du scrutin était l’entrée ou non d’Eesti 200 au Parlement. Si les sondages étaient prometteurs fin 2018, une campagne publicitaire mal gérée a mis du plomb dans l’aile du nouveau venu. Toutefois, l’échec ne semble pas avoir démotivé les leaders d’Eesti 200 puisque sa présidente Kristina Kallas a démissionné de son poste de directeur du collège universitaire de Narva pour se consacrer à la politique et lancer la bataille des élections européennes.

Dans ce contexte où cinq groupes politiques vont siéger au parlement (contre 6 auparavant), il devrait échoir dans un premier temps à Kaja Kallas (Parti de la réforme) de tenter de former une coalition gouvernementale(4)4. Toutefois, les discussions entre partis (directes ou par médias interposés) ont commencé dès le soir des élections. S’il a laissé entendre vouloir constituer une coalition à trois avec Isamaa et le PSD (comme entre 2007 et 2009 et entre 2015 et 2016), le Parti de la réforme s’est finalement d’abord tourné vers le Parti du centre pour entamer des négociations pour former une coalition à deux comme entre 2005 et 2007. Toutefois, le Parti du centre a refusé l’offre, estimant le programme en matière d’impôts incompatibles avec sa ligne. (Le Parti du centre souhaite conserver la progressivité de l’impôt sur le revenu introduite en 2018, le Parti de la réforme veut réintroduire un système identique pour tous en généralisant le seuil de revenus non imposés à 500 € mensuels.) À la suite de ce refus, le Parti de la réforme s’est tourné vers le PSD et Isamaa, seule combinaison possible restante pour un gouvernement avec le Parti de la Réforme, mais sans EKRE.

Initialement mis de côté par le Parti de la réforme, Isamaa semble aussi intéressé par les autres scénarios possibles, notamment une coalition avec le Parti du centre et EKRE. Reste à savoir si le Parti du centre, soutenu par de nombreux russophones, serait prêt à s’allier avec l’extrême-droite. Même s’il existe des points communs au sein de leurs électorats, notamment quand il est question des valeurs sociétales, il est fort à parier qu’un tel rapprochement chamboulerait les équilibres actuels au sein de la formation centriste dont le résultat du 3 mars montre qu’il lui est difficile de séduire électorat estonien et électorat russophone.

Ainsi, quelle que soit l’issu des pourparlers, la naissance d’une coalition s’annonce complexe.

Même si la composition du parlement va évoluer rapidement(5), on peut noter qu’un nombre record de femmes a été élu : 27. Toutefois, tous les partis ne sont pas égaux sur cette question. Si on compte autant de femmes que d’hommes parmi les élus sociaux-démocrates, 11 sur 34 du côté du Parti de la Réforme et 8 sur 26 pour le Parti du centre, Isamaa n’aura qu’une élue et EKRE deux. De plus, quelques célébrités vont entrer au Riigikogu : la skieuse championne olympique Kristina Šmigun-Vähi (Parti de la réforme), l’acteur des séries Õnne 13 et ENSV Raivo E. Tamm (Isamaa) ou encore l’ancien sumotori Kaido Höövelson « Baruto » (Parti du centre). Et la vie législative est aussi une affaire de famille. La présidente du Parti de la Réforme Kaja Kallas sera accompagnée par son père, Siim Kallas, fondateur du Parti de la réforme, ancien Premier ministre (2002-2003) et commissaire européen (2004-2014), qui revient au Parlement après 15 ans d’absence. Du côté d’EKRE, la famille Helme va compter un parlementaire supplémentaire. Helle-Moonika Helme va rejoindre son mari, Mart et leur fils, Martin. Le Parti du centre sera représenté par le couple Martin Repinski – Siret Kotka-Repinski.

Photo : Vincent Dautancourt

(1) En estonien Elurikkuse erakond, formation née en 2019 à l’initiative d’Artur Talvik après son départ du Parti libre qu’il a dirigé entre 2017 et 2018.

(2) En plus des difficultés nationales, le Parti du centre fait face dans l’Ida-Virumaa a une crise à Narva depuis qu’une majorité des élus centristes du conseil municipal a quitté à l’automne le parti et formé un nouveau groupe majoritaire, faisant perdre au parti ses relais locaux. Les deux figures du parti dans la région, Yana Toom et Mihhail Stalnuhhin semblent aussi être entrés en conflit.

(3) EKRE a succédé à l’Union populaire (Rahvaliit) en 2012.

(4) Il est du ressors de la présidente Kersti Kaljulaid de confier cette mission, traditionnellement au leader du parti vainqueur des élections. Cela interviendra une fois les résultats officiels proclamés, au plus tard le 28 mars, après le traitement des éventuels recours.

(5) Un certain nombre de personnes, des maires notamment, décident de ne pas siéger au Parlement pour se consacrer uniquement à leur mandat d’élu local ou à leur profession. À cela s’ajoute les changements relatifs à la formation du gouvernement.