La scène politique estonienne continue de connaître des changements. Souhaitant se concentrer sur son rôle de président du Riigikogu, Lauri Hussar, qui avait pris la tête du parti Eesti 200 en octobre 2022, a annoncé sa démission le 6 novembre. Le 19, l’assemblée générale du parti a élu Margus Tashkna nouveau président par 112 voix contre 14 à l’autre candidat en lice, le cinéaste Arko Okk. L’élection de l’actuel ministre des Affaires étrangères ne faisait guère de doute et était considérée par certains observateurs comme la prise en main du parti par son véritable leader. M. Tsahkna a même pu profiter du discrédit tombé sur Arko Okk après que celui-ci a estimé qu’il était nécessaire de comprendre la Russie et dialoguer avec elle. De tels propos ont été immédiatement condamnés par les principales personnalités du parti. Néanmoins, la rapidité du processus, une seule semaine ne s’est écoulée entre la démission de Hussar et l’assemblée, n’a pas été du goût de tout le monde. Le mécontentement le plus audible est venu de Joakim Helenius, principal financeur du parti. Pointant un manque de démocratie au sein du parti et regrettant la prise de mauvaises décisions, l’homme d’affaires a appelé au boycott du scrutin. Dès le lendemain de l’élection du nouveau président, Helenius a annoncé qu’il quittait le parti.

Outre Eesti 200, le Parti de la réforme tenait aussi son congrès pour choisir ses dirigeants. Malgré les difficultés rencontrées depuis le déclenchement du scandale impliquant son mari, Kaja Kallas s’est portée candidate à un nouveau mandat. Si aucun autre membre du parti n’a souhaité s’opposer à elle, garantissant ainsi sa réélection, la situation n’est pas aussi rose pour la cheffe du gouvernement. En effet, seuls 68 % du millier de votants l’ont soutenue. Aussi, certaines figures du parti ont obtenu plus de voix qu’elle lors de l’élection des membres de la direction du parti. Ainsi, le maintien de Kaja Kallas à la tête du gouvernement pourrait durer moins longtemps, d’autant que de nouveaux horizons pourraient s’ouvrir à elle à l’approche de la fin du mandat du secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg.

Alors que les travaux parlementaires sont fortement ralentis en raison de l’obstruction obstinée menée par le groupe parlement EKRE (extrême droite), notamment pour faire éviter l’adoption de la loi sur le budget 2024 avant mars 2024, ce qui provoquerait des élections anticipées, l’actualité politique de la fin de 2023 a été surtout marqué par les débats concernant le budget de l’État. En effet, dans un contexte de récession économique, le gouvernement, sous la baguette du ministre des Finances Mart Võrklaev (Parti de la réforme) cherche à réduire les dépenses publiques. Finalement, le débat parlementaire est resté limité puisque le gouvernement a décidé de lier les textes législatifs sur le budget à des votes de confiance afin de contourner l’obstruction de l’opposition. De son côté, le président de la République Alar Karis, qui avait indiqué suivre de près l’utilisation des votes de confiance, a choisi de ne pas s’opposer à l’adoption du budget et à promulguer les lois sans attendre.

Dans ce contexte de limitation des dépenses, échaudés que le gouvernement ne respecte pas la promesse faite d’augmenter leurs salaires, les enseignants estoniens ont arrêté le travail pendant une heure le 10 novembre dans le cadre d’une grève d’avertissement. Dans les semaines suivantes, une tentative de conciliation a été menée avec le ministère de l’Éducation, sans succès. Une grève plus conséquente a été donc annoncée par le principal syndicat de l’enseignement pour le mois de janvier.

Les autorités estoniennes ont suivi de près l’évolution de la situation à la frontière orientale de la Finlande. En novembre, une augmentation du nombre de migrants se présentant aux postes-frontière entre la Finlande et la Russie sans visa a été observée. Face à cette situation, le gouvernement finlandais a pris la décision de fermer ses quatre postes les plus méridionaux jusqu’en février, puis de ne garder ouvert que le poste le plus septentrional en Laponie. En Estonie, la situation à Narva a été particulièrement scrutée, même si les autorités estiment qu’il serait prématuré de fermer la frontière. Si quelques groupes de migrants ont tenté d’entrer en Estonie, ceux-ci ont été priés de retourner en Russie.

Pendant que les combats font rage au Proche-Orient, le conflit entre Israël et le Hamas n’est pas sans conséquence en Estonie. Le 5 novembre, une manifestation de soutien à la Palestine a été organisée dans le centre de Tallinn. L’événement, qui a rassemblé environ 300 personnes, a été particulièrement commenté après que la police a interpelé cinq personnes et les a sanctionnées d’une amende pour avoir brandi le slogan « De la rivière à la mer », considéré par les autorités comme antisémite. Les personnes sanctionnées ont porté l’affaire en justice. Quelques semaines plupart, la crainte qu’un tel slogan soit de nouveau brandi, une manifestation a été interdite par la police à Tartu, avant que les autorités ne l’autorisent finalement.

Début 2024, soutenue par l’UE, l’Estonie devait prendre la présidence tournante de l’OSCE. Toutefois, la Russie et le Bélarus ont décidé plus tôt en 2023 de mettre leur veto à une présidence estonienne de l’organisation, imposant de trouver un candidat alternatif (le choix se portant sur Chypre). Réagissant à l’événement, le ministre estonien des Affaires étrangères Margus Tsahkna a estimé qu’il ne s’agissait pas d’un coup dur pour l’Estonie dans le contexte où le travail de l’OSCE est actuellement bloqué par la même Russie. La présence du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors du conseil des ministres de l’OSCE fin novembre et début décembre à Skopje a entraîné le boycott de la réunion par les ministres baltes.

En sport, la nageuse Eneli Jefimova, 17 ans fin décembre 2023, s’impose toujours un peu plus sur la scène internationale. Triple médaillée lors des championnats du monde juniors en septembre, l’Estonienne est montée à deux reprises sur le podium lors des championnats d’Europe petit bassin en remportant l’argent sur 50 m brasse et surtout l’or sur 100 m brasse. Grâce à ces résultats, Jefimova a été élue Sportive de l’année 2023 (ainsi que Jeune Sportive de l’année, titre qu’elle avait déjà remporté en 2021).

À l’approche des Jeux olympiques 2024, un point d’interrogation flotte au-dessus de l’équipe féminine d’épée. Championne olympique en titre depuis sa victoire à Tokyo en 2021, et pourvoyeuse régulière de médailles internationales, l’équipe d’épée vit au rythme des tensions entre les différentes sportives (principalement Katrina Lehis, qui a décidé de s’entraîner seule) et la fédération estonienne. Les tensions sont d’autant plus suivies que l’équipe d’Estonie n’est pas certaine d’être qualifiée pour les JO de l’été 2024. Une victoire lors de la coupe du monde de Vancouver lui a permis d’améliorer sa position au classement mondial mais la qualification n’est pas acquise. L’absence des Estoniennes à Paris serait un véritable coup dur pour la délégation estonienne.

De son côté, Savvusanna sõsarad (intitulé en anglais Smoked Sauna Sisterhood) d’Anna Hints continue de remporter les récompenses. En décembre, ce documentaire remporté le prix du meilleur documentaire lors de la 36e cérémonie des prix du cinéma européen.

Photo : Ken Mürk / ERR