Après une fin d’octobre marquée par la démission de la ministre du commerce extérieur et des nouvelles technologies, Kert Kingo (EKRE), le mois de novembre a été principalement marqué par un ensemble de scandales au centre desquels on trouve Mart Järvik, le ministre des affaires rurales, aussi issu du parti d’extrême-droite EKRE. Le ministre, que le Premier ministre Jüri Ratas a relevé de ses fonctions le 25 novembre, a dû faire face à plusieurs affaires : sa gestion du dossier de la contamination de listéria dans l’entreprise M.V.Wool, spécialisée dans les produits de poissonnerie et des soupçons de conflit d’intérêt dans le dossier M.V.Wool et d’autres enquêtes menées par les services gérés par son ministère.

Mart Järvik a surtout été fragilisé après la révélation du rôle de son conseiller juridique Urmas Arumäe. Parallèlement à ses activités de conseiller, ce dernier est également avocat. Avant de devenir conseiller, U. Arumäe défendait des entreprises en conflit avec le Service des registres et de l’information agricoles (PRIA), qui dépend du ministère des affaires rurales. S’il a déclaré s’être distancé des dossiers instruits une fois devenu conseiller, les faits vont à l’encontre de ses propos. Il est soupçonné d’avoir fait pression sur son ministre pour que celui-ci fasse à son tour pression sur PRIA.

Face à un ministre qui campait sur ses positions, l’affaire a pris un nouveau tournant après que le secrétaire général (kantsler) du ministère des affaires rurales, Illar Lemmeti, a transmis à la presse ses échanges avec son ministre afin de prouver les soupçons de conflit d’intérêt et les différentes prises de position de Mart Järvik. Alors que la presse a rapidement exigé la démission de Järvik, la coalition gouvernementale a joué la montre en saisissant le Secrétaire d’État (qui dirige la Chancellerie d’État, l’administration centrale du gouvernement) pour éclaircir la situation. Dans son rapport, la commission formée a clairement souligné que les actions du ministre avaient dépassé ses prérogatives. Toutefois, le départ du ministre ne s’est pas fait sans difficulté. Le parti du ministre, EKRE, a dans un premier temps déclaré que tout départ du ministre aurait pour conséquence la chute du gouvernement. Finalement, EKRE a réussi à obtenir la tête d’Illar Lemmeti. Ce tournant a été très critiqué au sein des fonctionnaires et de l’opposition qui craignent une politisation de l’administration publique. Lorsqu’elle a entériné le départ de Mart Järvik, la présidente de la République Kersti Kaljulaid n’a fait aucun commentaire à propos du désormais ex-ministre, mais a présenté les excuses de l’État à Illar Lemmeti !

Un autre thème occupe l’actualité politique : la réforme de la législation concernant les pharmacies. Il y a cinq ans, le Parlement a réformé le cadre d’activité des pharmacies pour dissocier grands distributeurs de médicaments et pharmacies, les premiers étant les principaux propriétaires des secondes. Pour ce faire, la loi impose que toute pharmacie devra être la propriété à au moins 51 % d’un pharmacien diplômé au 1er avril 2020. (En l’état, deux tiers des pharmacies d’Estonie – en majorité propriété de trois groupes distributeurs de médicaments – sont menacés de fermeture.) Néanmoins, la coalition gouvernementale semble soutenir un allégement, voire une annulation de la réforme sous la pression des entreprises du médicament, en partie en raison du manque d’intérêt des pharmaciens d’acheter des officines, en partie à cause des prix à la vente proposés par les groupes propriétaires. Les opposants à l’abandon de la réforme, comme le social-démocrate Jevgeni Ossinovski, crient au scandale de corruption, notamment en raison des liens entre Isamaa et l’un de ses membres, Margus Linnamäe, propriétaire du réseau de pharmacies Apotheka. Les opposants soulignent le rôle financier de Linnamäe (l’un des entrepreneurs les plus riches d’Estonie – il est aussi propriétaire d’AS Eesti Meedia, à qui appartient le quotidien Postimees, et des magasins de livre et cinéma Apollo)) dans la dernière campagne électorale d’Isamaa.

Les transports ont une nouvelle fois été à la Une. À Tallinn, l’un des axes routiers les plus polémiques des dernières années a été inauguré le 29 novembre par le maire Mihhail Kõlvart : Reidi tee. Cet axe vise à réduire la circulation de l’avenue de Narva qui relie le centre-ville aux quartiers de l’Est de Tallinn (Pirita et Lasnamäe) et la commune voisine de Viimsi et à détourner du centre-ville le trafic des camions de et vers le port de Tallinn. Les associations écologistes et les partisans des modes de circulation alternatifs ont tenté de limiter l’emprise de cet axe sur l’espace urbain, mais un accord conclu avec l’ancien maire Taavi Aas a été abandonné par son successeur Mihhail Kõlvart. L’absence de politique réellement verte, malgré des mesures comme la gratuité des transports pour les résidents est largement critiqué. La candidature de Tallinn, pour la quatrième fois, au titre de Capitale verte européenne (titre créé à Tallinn !), est accueillie avec scepticisme. Néanmoins, l’Estonie a fait un pas « vert », car elle a apporté son soutien au Pacte vert pour l’Europe, auquel elle s’était opposée plus tôt dans l’année.

Le 28 novembre, le Premier ministre estonien et le directeur général de la direction générale de la mobilité et des transports de la Commission européenne, l’Estonien Henrik Hololei, ont posé symboliquement la première pierre de la Rail Baltica, cette voie ferrée à grande vitesse qui doit relier Tallinn à Varsovie. Cet événement a eu lieu dans un contexte particulier puisque le personnel de direction de l’entreprise commune aux trois États baltes chargée du projet a tendance à changer rapidement, au grand désarroi des employés.

Toujours dans le domaine ferroviaire, on peut noter l’inauguration du prolongement (sur 6 km) de l’axe Tallinn-Riisipere jusqu’au village de Turba. Cet événement tourne la page du rétrécissement du réseau estonien, le dernier épisode en date étant la fermeture de la ligne Lelle-Pärnu en décembre 2018. Il marque le début de la reconstruction de la ligne Tallinn-Haapsalu, qui a été démantelée entre Riisipere et Haapsalu à partir 2004. Plus de 24 ans après l’arrêt du transport de passagers au-delà de Riisipere (en septembre 1995), les habitants de Turba ont pu prendre le train.

Sujet de préoccupation en Europe orientale, l’approvisionnement en gaz est aussi une source d’inquiétude en Estonie. Jusqu’à très récemment, le pays était connecté à un seul réservoir, celui d’Inčukalns en Lettonie, et à la Russie par deux gazoducs. Le pays a cherché à diversifier son approvisionnement, par exemple à travers des projets de terminal de gaz liquéfié et de nouvelles connections. Le 11 décembre, Finlande et Estonie ont inauguré le Balticconnector, un gazoduc de 77 km qui les relient entre les villes d’Ingå (Inkoo) et de Paldiski (auquel s’ajoutent 21 km en Finlande et 55 km en Estonie). Dès lors, l’Estonie est reliée à deux réservoirs, ce qui lui assure un approvisionnement en permanence, y compris en période de forte consommation.

Le 11 décembre, la ville de Tartu (et l’Estonie) a été endeuillée par la mort d’une jeune famille de cinq personnes (deux adultes et trois enfants) dans l’incendie de leur maison. Cet événement, le plus dramatique depuis la restauration de l’indépendance pour une maison d’habitation (des incendies de foyers d’accueil ou établissements de santé ont pu être plus dramatiques), a rappelé les problèmes de sécurité dans les maisons estoniennes, notamment celles en bois, face au feu et au monoxyde de carbone. En 2019, 40 personnes ont déjà trouvé la mort dans des incendies, dont 10 pour le seul mois de décembre. Le drame de Tartu semble avoir eu des effets chez les Estoniens, qui se sont soudainement mis à s’intéresser aux détecteurs de fumée (obligatoire depuis 10 ans) et de monoxyde. De son côté, le gouvernement a validé un amendement rendant obligatoire les détecteurs de monoxyde au 1er janvier 2022. De même un registre des systèmes de chauffage pour faciliter les interventions des pompiers.

Enfin, fin novembre et début décembre, l’Université de Tartu a célébré les 100 ans du début de la première année universitaire où les enseignements ont été faits en estonien. Plusieurs cérémonies et spectacles ont été organisées et le gouvernement estonien a tenu un conseil des ministres délocalisé à Tartu la semaine suivante. De plus, une pièce commémorative de 2 € a été émise. Il s’agit de la sixième pièce par la Banque d’Estonie après les pièces pour célébrer le joueur d’échecs Paul Keres (2016), l’indépendance de l’Estonie (2017), le centenaire de la naissance des États estonien et letton et de la renaissance de l’État lituanien (2018 – commune aux trois États baltes), le centenaire de l’indépendance de l’Estonie (2018) et les 150 ans de la Fête du chant (2019).

Photo : Vabariigi Presidendi Kantselei / ERR