Avant la traditionnelle pause estivale, les grandes manœuvres post-électorales ont continué sur la scène politque. Plus petite force politique au Parlement avec huit élus seulement (contre douze auparavant), le parti conservateur Isamaa s’est choisi un nouveau dirigeant après qu’Helir-Valdor Seeder a décidé de passer la main après six années à la tête du parti. Trois candidats se sont portés candidat au congrès organisé le 10 juin : Tõnis Lukas, Urmas Reinsalu et Lea Danilson-Järg. Si Mme Danilson-Järg est relativement novice en politique (elle a été ministre de la Justice de juin 2022 à avril 2023), les deux autres candidats sont des figures de la vie politique estonienne depuis plusieurs décennies. Ministre de 1999 à 2002 (Éducation) et de 2019 à 2021 (Culture), Tõnis Lukas a été le dernier dirigeant d’Isamaaliit, l’une des formations à l’origine d’Isamaa. De son côté, Urmas Reinsalu, ancien ministre lui aussi (Défense 2012-2014 ; Justice 2015-2019 ; Affaires étrangères 2022-2023), a lui dirigé Isamaa (à l’époque IRL) de 2012 à 2015. La candidature de Lea Danilson-Järg a été largement commentée car si sa venue en politique est récente, l’ancienne ministre (qui a échoué à obtenir un siège au Parlement en mars 2023) a été présentée comme la candidate d’un des principaux financeurs du parti, l’homme d’affaire Parvel Pruunsild (notamment propriétaire de la banque BigBank). C’est finalement Urmas Reinsalu qui a été élu avec 415 voix contre 180 à Tõnis Lukas et 51 à Lea Danilson-Järg.

Autre parti à tenir son congrès le 10 juin, le Parti populaire conservateur (EKRE). Le président sortant du parti Martin Helme était candidat à sa succession et sa réélection ne faisait aucun doute. L’annonce de la candidature de Peeter Ernits (ancien du Parti du centre qui a rejoint EKRE en 2018, député jusqu’en 2023) à la limite du dépôt des candidatures n’a pas généré de suspens particulier. Peeter Ernits a expliqué sa candidature par un besoin de changement dans le fonctionnement interne du parti – les critiques de la famille Helme sont rarement les bienvenues. Martin Helme a finalement été réélu avec 87 % des voix, 381 contre 42.

Le troisième parti de l’opposition, le Parti du centre avait lui fait le choix de ne pas opérer de changement dans sa direction après les élections. Toutefois, le parti encore dirigé par Jüri Ratas ne va pas échapper à un congrès extraordinaire (le 10 septembre à Paide). L’homme d’affaires Parvel Pruunsild, habituellement grand soutien d’Isamaa a décidé de soutenir les trois partis politiques de l’opposition à hauteur de 400 000 euros pour Isamaa et 300 000 euros pour EKRE et le Parti du centre. Si les deux premiers partis ont accepté ce don, la direction du Parti du centre a décidé de rembourser la somme reçue. En effet, la majorité des membres de la direction, regroupés autour du maire de Tallinn Mihhail Kõlvart, a estimé qu’un tel don – conjugué aux dons à Isamaa et EKRE – associait trop le parti à la coalition gouvernementale de 2019-2021 qui pâtit d’une mauvaise image dans l’électorat. Cette décision a mis l’actuel président du parti, Jüri Ratas, en minorité, qui, en réaction, a proposé l’organisation d’un congrès extraordinaire. Fidèle à ses déclarations du printemps, M. Ratas a d’ores et déjà indiqué qu’il ne serait pas candidat, préférant soutenir Tanel Kiik (qui a gagné en notoriété en tant que ministre de la Santé lors de la pandémie de Covid) face à Mihhail Kõlvart, autre candidat à sa succession.

Hasard du calendrier, alors que les deux partis conservateurs rappelaient leur attachement aux valeurs traditionnelles, et leur opposition à l’ouverture du mariage à tous, se tenait à Tallinn le grand défilé de la Baltic Pride, un festival culturel LGBT+ organisé dans les trois États baltes. Il s’agissait de la première Baltic Pride organisée à Tallinn depuis 2017 et la première depuis la fin de la pandémie de Covid (la dernière Baltic Pride avait été organisée à Riga en 2018, le festival prévu à Tallinn en 2020 avait été très réduit). L’événement a été l’occasion de rappeler le besoin de soutenir l’ouverture du mariage à tous.

Les partisans de cette mesure ont rapidement pu se réjouir car le projet du gouvernement de légiférer avant la pause estivale a été mené à son terme. Le matin du 20 juin, alors qu’ils étaient en séance extraordinaire depuis la veille pour examiner les projets que le gouvernement voulait adopter avant l’été, les députés estoniens ont définitivement voté la réforme donnant le droit aux couples homosexuels de se marier (55 pour, 34 contre, une abstention). Malgré les appels de l’opposition (EKRE) à ne pas le faire – le parti d’extrême droite n’acceptait pas que le gouvernement lie la loi à un vote de confiance pour raccourcir les débats – le président de la République Alar Karis a promulgué la nouvelle loi le 27 juin.

Outre l’adoption du mariage pour tous, la coalition a atteint ses objectifs avec le vote des textes législatifs concernant les réformes fiscales et budgétaires ainsi que l’extension du terrain d’entraînement militaire de Nursipalu (région de Võrumaa). Ce dernier projet avait été mis en pause pendant les élections législatives et la nouvelle coalition a décidé de le mener à son terme malgré l’opposition locale. Le projet était contesté tant sur le fond (extension territoriale au détriment des habitants) que sur la forme (procédure accélérée). Toutefois, les opposants ont été déboutés par la justice (en première instance, appel a été fait) début juin et le parlement a adopté la loi autorisée le gouvernement à faire avancer le dossier via une procédure exceptionnelle.

Malgré la pause estivale, la politique fiscale du gouvernement est très présente dans l’actualité avec un débat sur le projet de taxe sur les véhicules (hors électrique). Les propriétaires de véhicules doivent se préparer à s’acquitter de deux taxes : une première sera à payer lors de l’achat d’un véhicule neuf, une seconde chaque année. La méthode de calcul de la taxe reste à décider. Deux principes sont envisagés : prendre en compte l’âge du véhicule et ses émissions de CO2 ou prendre en compte l’ensemble de l’empreinte environnementale du véhicule de sa fabrication à sa destruction. De plus, la future taxe doit concerner l’intégralité des véhicules existants dans le registre de la circulation (liiklusregister), y compris les quelques centaines de milliers de véhicules retirés de la circulation. En élargissant la taxe à ces derniers, le gouvernement souhaite inciter les propriétaires de tels véhicules à les faire détruire et éliminer ainsi la pollution existante (en ville par exemple, certains parkings sont envahis par des épaves abandonnées). Toutefois, ceci peut représenter un casse-tête pour certains. En effet, des véhicules ont pu être détruits sans que l’acte ne soit légalement enregistré, leur retrait du registre de la circulation devenant impossible sans la documentation requise.

Dans le secteur de l’énergie, les trois États baltes se sont mis d’accord sur le calendrier de la déconnexion de leur réseau électrique des réseaux russe et bélarusse. Alors que les Lituaniens souhaitaient réaliser ce changement rapidement, dès 2024, avant les élections législatives d’octobre, leurs voisins estoniens et lettons, pas prêts, ont réussi à négocier un délai plus long. Si le calendrier est respecté, la déconnexion du réseau russe et la synchronisation au réseau européen seront effectuées en février 2025 (un an plus tôt que les projets initiaux).

La dernière semaine de juin, les regards ont été tournés vers le stade Kalev et l’Esplanade du chant à Tallinn pour les préparatifs et la tenue de la XIIIe Fête du chant et de la danse de la jeunesse (30 juin – 2 juillet). Plus de 8 000 danseurs et plus de 23 000 choristes et musiciens ont participé à l’événement. Trois représentations d’un spectacle intitulé Sillad (« Ponts ») ont eu lieu le vendredi et le samedi avant le traditionnel défilé du centre de Tallinn à l’Esplanade du chant et le grand concert de chant choral Püha on maa (« Le pays est sacré ») le dimanche.

Au cours des mois précédents, l’existence de monuments datant de l’espace soviétique dans l’espace public estonien a été au cœur d’un débat intense et certains ont même été démantelés. En juin, ce n’est pas le démantèlement d’un monument qui a fait l’actualité, mais l’inauguration d’un nouveau monument. En effet, à l’occasion des célébrations du Jour de la Victoire (23 juin) à Viljandi, les autorités estoniennes ont inauguré le nouveau monument à la gloire des morts originaires de la région de Sakala lors de la guerre d’indépendance. À l’origine conçu par le sculpteur Amandus Adamson et érigé en 1926, le monument avait ensuite été partiellement détruit sur ordre du pouvoir soviétique le 19 juin 1941, puis totalement en 1949.

Depuis qu’un documentaire a été réalisé en 2020 sur l’épave du ferry Estonia, naufragé en mer Baltique en 1994, les autorités des trois pays concernés (Estonie, Finlande, Suède) ont accepté l’idée de mener de nouvelles analyses pour faire toute la lumière sur un drame à l’origine de nombreuses théories. Fin juillet, divers prélèvements ont été réalisés et la rampe du ferry, dont l’ouverture a causé une entrée d’eau il y a 29 ans, a été remontée à la surface pour analyse en Estonie. Les conclusions de cette nouvelle enquête sont attendues en 2025.

L’été, de nombreuses villes estoniennes réalisent traditionnellement les travaux d’ampleur trop gênants le reste de l’année lorsque employés et écoliers sont présents. 2023 ne déroge pas à la règle et la capitale Tallinn fait beaucoup parler d’elle. La construction d’une nouvelle ligne de tramway entre le cœur économique de la ville et les infrastructures portuaires, combinée à d’autres projets d’aménagement, a transformé le centre-ville en vaste chantier rendant les déplacements très difficiles pour tout le monde. Critiquées pour avoir voulu tout faire simultanément, les autorités municipales espèrent que la situation va s’améliorer progressivement avant la rentrée scolaire. Toutefois, des aléas comme des découvertes archéologiques sont toujours à prévoir. En juillet 2023, ce sont les vestiges d’un pont du xviiie siècle qui enjambait la rivière Härjapea (désormais enfouie) qui ont été mis au jour.

En sport, la joueuse de tennis Anett Kontaveit, 27 ans, a annoncé que le tournoi du Grand Chelem de Wimbledon serait le dernier de sa carrière (défaite au deuxième tour). Souffrant de problèmes physiques, celle qui a atteint la deuxième place du classement mondial WTA à l’été 2022 s’est rendue à l’évidence qu’elle ne pourrait répondre aux exigences du circuit professionnel. Au cours de sa carrière, Kontaveit a remporté six tournois (à quoi s’ajoutent onze finales perdues dont celle du Masters, le tournoi qui oppose les meilleures joueuses en fin d’année). En Grand Chelem, l’Estonienne a réalisé son meilleur résultat à l’Open d’Australie 2020 où elle a atteint les quarts de finale.

Lors des championnats du monde de natation grand bassin de Fukuoka (Japon), la nageuse Eneli Jefimova a renouvelé sa performance de l’année précédente en se qualifiant pour la finale du 50 m brasse. Sixième en 2022, la jeune Estonienne de 16 ans a cette fois dû se contenter de la huitième place. En revanche, Jefimova a réussi à se qualifier aussi pour sa première finale m du 100 m brasse, dans laquelle elle a obtenu une prometteuse sixième place.

Enfin, du 27 au 30 juillet, le Viljandi Folk a célébré son trentième anniversaire. Fondé en 1993, l’événement s’est peu à peu imposé comme le festival de musique traditionnelle le plus important d’Estonie, attirant chaque année des milliers de spectateurs. Il témoigne aussi du rôle de Viljandi dans la promotion du patrimoine culturel estonien dans le pays. La ville accueille par exemple l’Académie de la culture de l’université de Tartu au sein de laquelle sont enseignées toutes les matières liées au patrimoine et le Centre de la musique traditionnelle (Eesti Pärimusmuusika) installé dans la Grange de la musique traditionnelle (Pärimusmuusika ait).

Photo : Kaupo Kalda / laulupidu.ee