En août, le calme estival a été rythmé par plusieurs scandales.

Tout d’abord, le 11 août, un article d’une journaliste de la radiotélévision publique a révélé que le doyen de la faculté des sciences sociales de l’université de Tartu, l’économiste Raul Eamets, avait signé un contrat avec la fondation Pere Sihtkapital, une organisation spécialisée dans les questions démographiques pour mener plusieurs études. L’accord avec l’université était nécessaire pour la fondation car l’étude requérait l’accès aux données personnelles des Estoniens, une procédure qu’un nombre limité d’institutions scientifiques sont autorisées à avoir. Toutefois, divers problèmes et infractions ont été mis au jour. En effet, les données ont été utilisées avant même que le comité d’éthique de l’université autorise l’étude et Raul Eamets est lui-même membre du conseil de surveillance de Pere Sihtkapital (aux côtés de Parvel Pruunsild, l’un des grands soutiens du parti Isamaa, très concerné par le futur démographique du peuple estonien). De même, les questions à la tonalité critique envoyées aux femmes sans enfants ont été pointées du doigt. Dans les jours suivants, en l’absence de prise de responsabilité de la part de M. Eamets, le recteur de l’université Toomas Asser a annoncé le licenciement de R. Eamets. La révélation d’un autre dossier dans le cadre duquel les services de l’université avaient alerté le doyen sur d’éventuels conflits d’intérêt a poussé celui à la démission de son poste de doyen (dont le mandat se serait achevé fin décembre). L’affaire a rapidement dépassé le seul cadre de l’université. En effet, les fonds utilisés pour effectuer la recherche ont été alloués par Riina Solman (Isamaa), alors ministre de l’Administration publique, à partir d’un budget destiné aux régions. La communauté scientifique estonienne a déploré une affaire qui entachait sa crédibilité.

Parallèlement, un autre scandale impliquant le ministère des Finances et la présidence de la République a éclaté à propos du budget de cette dernière. En effet, la chancellerie du président jouit de ressources limitées (6 millions d’euros en 2023) et les activités du président doivent parfois être annulées (le déplacement d’Alar Karis en Australie pendant l’été 2023 n’a pas eu lieu). Dans le même temps, le ministère des Finances travaillait au projet de taxe auto que le gouvernement souhaite mettre en place et à propos duquel le président Karis est réservé. Selon des déclarations de responsables du ministère, le conseiller du président Toomas Sildam aurait laissé entendre que le président ne s’opposerait pas à la loi établissant la taxe si le budget de la présidence était augmenté.

Néanmoins, ce débat a vite disparu de l’actualité après qu’une troisième affaire est apparue. La presse a révélé qu’Arvo Hallik, le mari de la Première ministre Kaja Kallas (Parti de la réforme), était lié à des entreprises qui continuaient d’exercer en Russie, et ce alors que la cheffe de l’exécutif estonien martèle depuis le début de la guerre en Ukraine que les entreprises estoniennes devaient arrêter toutes leurs activités. Dans le détail, Arvo Hallik est le propriétaire unique d’une entreprise, Novaria Consult, qui est à son tour actionnaire minoritaire (24,8 %) d’une entreprise de logistique Stark Logistics AS. Selon les informations révélées, cette dernière continuait d’effectuer des rotations entre l’Estonie et la Russie. Rapidement, les responsables de l’entreprise ont expliqué aider l’entreprise Metaprint OÜ (dont l’actionnaire principal est également l’actionnaire majoritaire de Stark Logistics AS) à remplir ses dernières obligations avant l’arrêt de l’activité en Russie. La révélation de l’affaire a immédiatement provoqué une levée de boucliers du côté des partis de l’opposition et dans la presse, avec un appel à la démission de la cheffe du gouvernement. Les critiques ont reproché son hypocrisie à Kaja Kallas, qui a dit ignorer la teneur des activités des entreprises concernées (alors même qu’elle a récemment consenti un prêt de plusieurs centaines de milliers d’euros à l’une d’elles). De même, les nombreuses déclarations ont déploré l’atteinte à l’action de soutien à l’Ukraine. Quelques jours après le déclenchement du scandale, Arvo Hallik a annoncé vendre ses parts de l’entreprise concernée. Malgré les nombreux appels à la démission, Kaja Kallas a fait le choix de rester à son poste, estimant ne rien avoir à se reprocher.

Après des mois d’inflation à deux chiffres (parfois supérieure à 20 %), le niveau des prix semble se stabiliser en Estonie. Déjà en juillet, les prix n’avaient augmenté « que » de 6,4 % par rapport à juillet 2022, un niveau qui n’avait plus été atteint depuis août 2021. Les prix ont même baissé en juin et juillet (-0,6 %) Le ralentissement de l’inflation s’est confirmé en août avec une inflation de 4,3 % sur un an (+0,43 % en juillet et août 2023). Dans le même temps, l’économie connaît un ralentissement certain avec un contraction du PIB pour le troisième trimestre consécutif, avec -2,9 % au deuxième trimestre de l’année (par rapport à la même période un an plus tôt). Si le secteur du commerce se porte bien, l’économie souffre de la mauvaise santé dans le secteur des transports, de l’énergie et du bâtiment. Les difficultés sont visibles aussi dans la baisse des échanges extérieurs avec une baisse de 6 % des exportations et de 9 % des importations.

Chaque année, les questions budgétaires sont au menu de la rentrée politique. En septembre 2023, le déséquilibre entre les dépenses et les recettes a particulièrement animé le débat entre les partenaires de la coalition. Sous la coupe du ministre des Finances (Parti de la réforme), de nombreuses promesses de dépenses ont été revues à la baisse. En 2024, les dépenses publiques s’élèveront à 17,67 milliards d’euros (auxquels s’ajouteront 820 millions d’euros d’investissement) et les recettes à 16,79 milliards d’euros. Le déficit structurel, 1,7 milliard d’euros, s’établit à 1,2 % du PIB, un niveau similaire au déficit de 2023. Les efforts seront principalement faits dans le secteur de la défense, de l’éducation, de la revitalisation de l’économie et la durabilité de la situation financière.

Les débats autour du budget public ont notamment concerné la question des transports. Évoquée plus tôt dans l’année, la taxe sur les véhicules n’entrera finalement pas en vigueur en 2024. Ce n’est qu’à partir de 2025 que les propriétaires de voiture devront s’acquitter de ladite taxe. De plus, la coalition gouvernementale a décidé de mettre un terme aux transports régionaux gratuits, un système mis en place par le premier gouvernement Ratas en 2018. À partir de janvier 2024, se déplacer avec un bus régional coûtera 1,5 € (le billet autorisera les correspondances pendant une heure et demie) ; les moins de vingt ans et les personnes âgées de 63 ans et plus continueront à bénéficier de la gratuité. Les pourfendeurs de la gratuité espèrent que la fin de ce système va permettre une véritable amélioration du réseau, datant parfois de l’époque soviétique et devenu inadapté aux besoins réels. Les partisans de la gratuité y voient, eux, un coup dur pour les personnes à faible revenu.

Dans un contexte de restriction budgétaire, certaines communes estoniennes cherchent à réduire les dépenses en fermant une partie de leurs établissements scolaires. Dans la commune de Lääneranna (région de Läänemaa), l’école primaire de Metsküla est devenue un exemple de l’opposition entre élus et population locale. Début septembre, bien que les autorités communales eussent adopté la fermeture de cette école, les enseignants et les élèves se sont retrouvés pour la rentrée des classes. Peu de temps après, la ministre de l’Éducation Kristina Kallas (Eesti 200) a annoncé refuser de signer l’abrogation du permis d’exercer de l’école.

Après la lourde défaite subie lors des élections législatives de mars 2023 (perte de dix sièges), les leaders du Parti du centre étaient tiraillés entre attendre 2024 pour organiser le congrès du parti ou anticiper avec un congrès dès 2023. Dans un premier temps, ce sont les partisans de la seconde solution, réunis autour de Jüri Ratas, le président du parti, qui ont eu gain de cause. Toutefois, une mise en minorité de ceux-ci lors d’une réunion du directoire par les soutiens de Mihhail Kõlvart, le maire de Tallinn, a poussé Jüri Ratas à démissionner et à convoquer un congrès extraordinaire (où il ne se représenterait pas) pour le mois de septembre. Ainsi, les militants se sont réunis le 10 septembre en congrès à Paide pour se choisir un nouveau président : Tanel Kiik (issu du camp Ratas) ou Mihhail Kõlvart. Indécis jusqu’au bout, le duel s’est conclu sur une victoire du maire de Tallinn (543 voix contre 489). Mihhail Kõlvart aura pour mission de maintenir l’unité du parti et convaincre les partisans de Jüri Ratas et de Tanel Kiik que le parti ne deviendra pas une formation centrée sur Tallinn et tournée encore plus vers l’électorat russophone. Dans les semaines qui ont suivi le congrès, deux députés centristes, Jaanus Karilaid et Tõnis Mölder, la maire de Rakvere Triin Varek et le général à la retraite Neeme Väli ont annoncé leur départ du parti et, pour les trois premiers, leur passage dans les rangs du parti Isamaa. À l’inverse, la victoire de Kõlvart semble avoir eu pour effet une reprise en main de la situation à Narva, où le Parti du centre avançait divisé depuis plusieurs années, ce qui avait pour conséquence une volatilité des accords politiques. Toujours en poste malgré la perte récente de sa majorité, la maire de Narva Katri Raik (Parti social-démocrate) a finalement été démise de ses fonctions par le conseil municipal local après que les centristes se sont ressoudés. Jaan Toots, soutien de Mihhail Kõlvart et jusque-là leader du parti à Tartu, a été élu au poste devenu vacant.

Lors des élections législatives de 2023, Aivo Peterson, leader du mouvement Koos et candidat sur la liste du Parti de la gauche unifiée, avait créé la surprise avec ses presque 4000 voix (insuffisantes toutefois pour être élu au Parlement). Il avait aussi attiré l’attention des autorités estoniennes en effectuant un voyage à l’est de la ligne de front dans le Donbass la semaine précédente, un voyage qui lui a valu d’être interpellé par la police estonienne et d’être placé en détention provisoire quelques jours après son retour en Estonie. En septembre, M. Peterson a été officiellement mis en accusation pour trahison pour avoir sciemment participé à des activités organisées par la Russie contre l’Estonie. Un autre membre de Koos a lui aussi été mis en accusation pour trahison, tandis qu’un citoyen russe a été mis en accusation pour activité portant atteinte à l’intégrité de l’Estonie.

Mi-septembre, l’Estonie a reçu la visite de Bartholomée Ier, patriarche œcuménique de Constantinople à l’occasion du centenaire de la fondation de l’Église orthodoxe apostolique d’Estonie (1923) et du trentenaire de son rétablissement (1993). Il s’agissait de la troisième visite dans le pays après des venues en 2000 et en 2013. Pendant une semaine, le patriarche a rencontré les autorités politiques estoniennes et les dirigeants de l’EOAE à Tallinn et a effectué des déplacements dans les différentes villes et régions d’Estonie (Tartu, Setomaa, Valga, Pärnu, Hiiumaa) pour rencontrer les fidèles orthodoxes du pays. À Värska (Setomaa), le patriarche a célébré une messe en plein air.

Dans le secteur de l’énergie, un sujet fait régulièrement parler : le prix des carburants dans les stations-services. En effet, malgré la présence d’un nombre important de concurrents, groupes estoniens ou filiales de groupes étrangers (Olerex, Alexela, Circle K, Terminal, Neste…), les prix à la pompe sont identiques dans toutes les stations. Cette situation fait souvent émerger des soupçons d’entente entre les entreprises, accusations constamment réfutées. Récemment, c’est le soupçon de non-respect des règles par l’entreprise Olerex qui a placé le sujet sur le devant de l’actualité. En effet, Olerex est soupçonné d’avoir enfreint les obligations relatives aux biocarburants. Si l’entreprise a déjà été condamnée pour des manquements en 2021, l’enquête pour 2022 est toujours en cours. En plus d’avoir manqué à ses obligations, l’entreprise est aussi soupçonnée d’avoir présenté de fausses informations dans ses rapports (ce qui relève du pénal). Face à la lenteur du dossier, les concurrents, qui estiment qu’il s’agit de la plus grande fraude commise sur le marché des carburants – Olerex aurait bénéficié d’un gain de 20 millions d’euros, protestent de vive voix. Le 7 septembre, les stations Terminal ont ainsi baissé le prix du litre à la pompe de 20 centimes pendant une journée (1,59 euro contre 1,79).

Le 13 septembre, le gouvernement estonien a pris la décision d’interdire l’entrée sur son territoire des véhicules immatriculés en Russie. Pour les véhicules déjà présents sur le sol estonien, si leur confiscation a été débattue, un délai de six mois a été instauré : leurs propriétaires ont le choix entre conduire leur véhicule hors d’Estonie ou faire immatriculer ce véhicule en Estonie (en s’acquittant des différentes taxes et en faisant certifier la conformité du véhicule aux normes européennes). Les véhicules immatriculés en Russie qui circuleront sur les routes estoniennes après le 13 mars 2024 seront passibles d’une amende, et d’une éventuelle saisie en cas de récidive.

Le 9 août, les Estoniens ont eu la tristesse d’apprendre le décès d’Ita Ever, figure du théâtre et du cinéma estonien, à l’âge de 92 ans. Formée à Moscou au début des années 1950 dans un studio estonien, Ita Ever est entré au Draamateater de Tallinn en 1953 et y a joué toute sa vie. Parmi ses très nombreux rôles, l’actrice a marqué toute une génération avec son rôle de la vieille femme de la forêt dans le film Nukitsamees (1981).

En sport enfin, la discgolfeuse Kristin Tattar, numéro 1 mondiale, a fait l’actualité à plusieurs reprises. En août, les championnats d’Europe de disc golf ont été organisés à Tallinn, avec pour tête d’affiche la numéro 1 mondiale, l’Estonienne Kristin Tattar. Cette dernière n’a pas failli et s’est adjugé son premier titre continental dans un public tout acquis à sa cause. Chez les hommes, l’Estonien Albert Tamm a échoué à la quatrième place. Fin août et début septembre, Kristin Tattar a poursuivi sur sa lancée en remportant les championnats du monde pour la deuxième année consécutive. Enfin, grâce à sa victoire au championnat féminin des États-Unis, fin septembre, celle que la presse voit comme la sportive estonienne de l’année a parachevé ce qu’aucune femme n’avait réalisé dans la discipline auparavant : remporter les quatre tournois majeurs de l’année.

Photo : Delfi Sports