Le sujet politique central en novembre 2024 a été la question de la suppression du droit de vote des citoyens russes et biélorusses aux élections locales. En l’absence de consensus au sein de la majorité gouvernementale (le Parti social-démocrate s’opposait au retrait), le débat s’est limité aux idées (des projets de lois ont été déposés au Parlement sans toutefois être débattus dans le détail). En novembre, alors que le calendrier se resserrait pour retenir le droit avant les élections de 2025, les choses se sont accélérées avec un changement de position des Sociaux-Démocrates, désormais favorables à une révision de la Constitution. Un compromis a pu être trouvé entre les trois formations politiques. Alors que les deux autres partis du gouvernement souhaitaient également supprimer le droit de vote des apatrides, le PSD a réussi à les convaincre de ne retirer le droit de vote qu’aux citoyens russes et biélorusses, l’Estonie ne pouvant dire aux apatrides qu’ils bénéficient d’un droit de vote ailleurs.

L’aboutissement du processus souhaité par l’exécutif n’est toutefois pas garanti. Le retrait du droit de vote est soutenu par l’ensemble des partis politiques présents au Riigikogu à l’exception du Parti du centre. Néanmoins, les attentes peuvent être différentes selon les groupes politiques. La majorité gouvernementale a besoin du soutien, ou du moins d’une absence de rejet, de la part des deux autres formations de l’opposition, Isamaa et EKRE, pour initier une révision rapide de la Constitution. Or, Isamaa et EKRE pourraient ne pas accepter le maintien du droit de vote des apatrides et faire capoter le projet gouvernemental. De plus, rien n’indique que le président de la République Alar Karis promulguerait les textes législatifs rapidement ou, le cas échéant, que la Cour suprême validerait la révision constitutionnelle.

La place de la langue russe en Estonie continue d’être au centre du débat. Bien que l’estonien soit l’unique langue officielle dans le pays, le russe a continué d’être utilisé comme langue de communication de l’administration. Ainsi, les sites Internet des différents ministères et autres administrations estoniennes existent dans une version russe, une situation qui pourrait disparaître. En août, le ministère de la Justice avait annoncé l’arrêt de la traduction régulière en russe des principales lois du pays (environ deux cents). Si l’argument financier (environ 12 000 euros) a été évoqué pour justifier la mesure, la dimension symbolique de la décision n’est pas à ignorer. En novembre, le ministère de la Justice a annoncé l’arrêt de la traduction en russe de son site Internet. Dans ce contexte, le maintien du russe comme langue de communication est source d’incompréhension. Ainsi, la présence du russe dans les langues disponibles dans la nouvelle application mobile eesti.ee testée par l’État a été immédiatement critiquée. Toutefois, l’utilisation du russe peut demeurer justifiée, notamment en cas de crise, ce qui nécessite que la population du pays soit informée rapidement et efficacement. Afin de connaître les besoins réels, la Chancellerie de l’État a lancé une évaluation de l’efficacité de la communication étatique en russe.

Comme chaque année, Tallinn (et Tartu) accueille le Festival du film des Nuits noires (PÖFF). L’édition 2024 a été marquée par une polémique impliquant le film Les Amoureux sourds (Глухие влюбленные) du réalisateur Boris Guts. Différentes voix, notamment des réalisateurs ukrainiens, se sont élevées pour réclamer que le film, qui raconte la rencontre d’un Russe et d’une Ukrainienne à Istanbul, ne soit pas projeté à Tallinn. Selon les critiques, bien que Boris Guts ait quitté la Russie et réside en Serbie, ce dernier ne peut pas être qualifié de véritable opposant. De même, le sujet du film, la proximité entre un Russe et une Ukrainienne ne peut être vue comme quelque chose d’anodin (de l’aveu du réalisateur, le film est une métaphore) et soutenir le film témoigne d’un certain positionnement sur le conflit russo-ukrainien.

Après avoir été choisie en juin par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne pour occuper le poste de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, l’ancienne Première ministre Kaja Kallas a été auditionnée le 12 novembre 2024 par les députés européens. Ces derniers lui ont accordé leur soutien, ce qui lui permet de devenir le visage de la diplomatie européenne le 1er décembre. Jamais avant elle un Estonien n’avait accédé à de telles responsabilités.

Dans la ville-frontière de Narva, la vie politique locale continue d’être très instable en raison des changements d’allégeance permanents. Un peu plus d’un an après la formation d’une majorité qui a permis l’élection de Jaan Toots (Parti du centre) au poste de maire à la place de la sociale-démocrate Katri Raik (élue après les élections de 2021), des retournements de veste au sein de la majorité ont redonné à Katri Raik la possibilité de former une coalition au conseil municipal. Restait toutefois à trouver un partenaire. Le choix était à faire entre la majorité sortante et le groupe politique du très polémique Mihhail Stalnuhhin (ce dernier avait été exclu du Parti du centre en 2022 pour avoir qualifié les membres du gouvernement estonien de fascistes après que ceux-ci avaient validé le retrait d’un monument soviétique). Consciente de devoir choisir entre deux options aussi mauvaises l’une que l’autre, Katri Raik et son équipe se sont finalement tournés vers Mihhail Stalnuhhin, ce que la direction nationale des Sociaux-Démocrates a regretté. Bien que les nouveaux alliés aient décidé de se limiter aux questions de politique locale (et donc de ne pas évoquer la question de la guerre en Ukraine), M. Stalnuhhin n’a pas su éviter les polémiques. Pourtant parfaitement capable de s’exprimer en estonien, celui-ci a fait le choix de s’exprimer en russe lors de la conférence de presse annonçant la formation de la coalition. Il n’a pas manqué d’appeler l’Estonie “RSS d’Estonie” (République socialiste soviétique d’Estonie)… Afin de calmer le jeu, l’homme politique a renoncé au poste de président du conseil municipal qui devait lui revenir, laissant la place à une autre élue de son groupe politique. Toute cette saga politique s’est terminée par un échec pour la nouvelle coalition, qui n’a pas su se mobiliser suffisamment pour déchoir le maire Jaan Toots.

Le dossier de la compagnie aérienne Nordica a atteint son épilogue le 20 novembre 2024. En difficulté après l’arrêt de la coopération avec SAS, l’entreprise espérait trouver un repreneur. Des négociations ont été menées avec l’investisseur danois Lars Thuesen, mais ce dernier a finalement décidé de ne pas acquérir Nordica en raison du niveau de risque trop élevé de l’opération. Le gouvernement estonien s’est donc résolu, sans trop de regrets, à déclarer la faillite de la structure créée en 2015 pour pallier la disparition d’Estonian Air.

À Tallinn, une page s’est tournée avec le retrait de la circulation des trolleybus, type de véhicule présent dans la capitale depuis 1965. Utilisé principalement pour relier le centre-ville et les quartiers résidentiels bâtis à l’époque soviétique (Mustamäe, Õismäe), ce mode de transport va laisser la place à des bus traditionnels. Ainsi, le paysage urbain tallinnois va changer avec la suppression des lignes électriques qui assurent l’alimentation électrique des trolleys. Toutefois, cette disparition du trolleybus est temporaire ; en effet, la ville prévoit l’achat de nouveaux véhicules, à batteries, dans les années à venir.

Enfin, le mois de novembre marque le début de la saison pour la plupart des sports d’hiver. Malgré une absence de résultats au plus haut niveau, l’Estonie demeure un pays de ski de fond. Néanmoins d’autres disciplines se développent et certains sportifs atteignent de nouveaux seuils. Ainsi, le skieur alpin spécialiste du slalom Tormis Laine est devenu le premier Estonien à inscrire des points (attribués aux trente premiers) en coupe du monde lors du slalom de Levi en Finlande.

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