L’actualité du mois de novembre a été éminemment politique avec une crise qui a failli être fatale à la coalition gouvernementale (Parti du Centre, Parti social-démocrate, Isamaa). Comme ailleurs en Europe, le pacte sur les migrations de l’ONU, qui doit être signé à Marrakech au Maroc le 10 décembre, a provoqué un vif débat dans la classe politique et la société estoniennes. Alors que la commission des affaires étrangères du Parlement estonien avait apporté son soutien au projet au printemps dernier sans que la décision n’ait quelque écho dans la société, la question est redevenue d’actualité à la suite de plusieurs articles d’experts parus dans la presse, de la montée au créneau du parti populaire conservateur estonien (EKRE, extrême-droite) et de l’intervention de Marko Mihkelson, le président de la commission susmentionnée, absent au moment des débats du printemps. Selon ce dernier, le ministère des affaires étrangères, chargé du dossier, a ignoré le Parlement, une position inacceptable. Le 11 novembre, le ministre de la justice Urmas Reinsalu (Isamaa) a indiqué que le gouvernement n’avait pris aucune décision et n’avait en aucun cas délégué à la présidente de la République Kersti Kaljulaid la mission d’aller signer le pacte.

Comme dans d’autres pays, la contestation contre le pacte de l’ONU tient en quelques points. Selon les opposants, l’Estonie perdra une part de souveraineté car le pacte est contraignant, le pacte engendra une vague migratoire massive que l’Estonie ne pourra pas absorber et le soutien au pacte est un acte de trahison du peuple par les dirigeants du pays. De leur côté, les partisans rappellent que le pacte n’est pas contraignant et ils soulignent quelles seraient les conséquences de son rejet (fin de la ligne adoptée dans les années 1990 en matière de politique étrangère, inclusion de l’Estonie dans le groupe de pays d’Europe orientale qui suivent la Pologne et la Hongrie opposées au pacte, fin de l’espoir d’obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU).

Face au flou, la chef de l’État a annoncé qu’elle n’irait au Maroc que si le gouvernement s’exprimait clairement en faveur du pacte. Après cette intervention, le parti Isamaa a annoncé son opposition au pacte, arguant que le pacte allait limiter la capacité de décision de l’Estonie en matière de politique migratoire. Dans un contexte de frénésie médiatique, avec une campagne très active de la part d’EKRE, le gouvernement s’est réuni le 15 novembre. Aucun consensus n’a pu être trouvé, plongeant l’exécutif dans la crise. S’en est suivie une escalade entre les dirigeants politiques, le président des Sociaux-Démocrates Jevgeni Ossinovski exigeant la démission du ministre de la justice Reinsalu. Dans le même temps, les Sociaux-Démocrates ont proposé une sortie de crise en demandant un vote du Riigikogu.

Le 26 novembre, après une journée de débats, les députés estoniens ont approuvé une déclaration par 41 voix (celles des députés du Parti du Centre et du Parti social-démocrate et une députée sans étiquette) contre 27 (Isamaa, EKRE, Parti libre et quelques députés sans étiquette) en faveur du pacte. De son côté, le Parti de la Réforme, malgré le soutien de sa présidente Kaja Kallas au pacte, s’est abstenu de voter, ce qui lui a valu des critiques des deux camps opposés. Il semblerait que le parti n’ait pas voulu prendre le risque de mettre le gouvernement dans une impasse et de récupérer le poste de Premier ministre à seulement trois mois des élections. Ce choix était peut-être aussi le seul compromis entre partisans et opposants au sein du groupe Réforme au Parlement.

Dans le même temps, la journée a été marquée par des incidents qui se sont déroulés devant le Riigikogu dans le cadre d’une manifestation organisée par le Parti populaire conservateur. Alors que des députés et les ministres du Parti social-démocrate étaient venus à la rencontre des manifestants, le député européen Indrek Tarand, candidat pour le PSD en mars 2019, a tenté de s’adresser à ces derniers. La tentative s’est terminée par une échauffourée au cours de laquelle Tarand, jamais avare d’un peu de provocation, s’est retrouvé à terre et a reçu des coups de pied de la part de manifestants. Cette violence a été unanimement condamnée, des tels actes étant absents de la vie politique estonienne. De son côté, le parti EKRE a rejeté la faute sur l’élu européen. Enfin, la manifestation a eu un écho en raison de la violence des messages exprimés par les personnes présentes : Kersti Kaljulaid est accusée de trahison d’État, un gibet installé devant le Parlement simulait la pendaison de Sven Mikser le ministre des affaires étrangères, etc.

Le vote de la déclaration au Parlement a profondément soulagé ses partisans. Restait à savoir qui représenterait l’Estonie à Marrakech. Finalement il a été décidé que personne ne ferait le déplacement. De plus, cet épisode politique de quelques semaines a clairement marqué la vie politique estonienne. Il a surtout mis en lumière certaines fractures au sein de la société estonienne (que l’on avait déjà pu voir lors du débat sur la mise en place d’une union civile en 2014) et l’absence de limites dans l’escalade verbale du côté d’EKRE et d’Isamaa, ce dernier parti semblant prêt à tout pour courir derrière EKRE et avoir des élus en mars. Actuellement, Isamaa n’est crédité que de 5 % des suffrages. Début décembre, Urmas Reinsalu a relancé le débat en expliquant que le ministère des affaires étrangères n’avait pas reçu mandat pour signer le pacte.

Sujet d’une polémique de nombreux mois, le projet de construction d’une usine de cellulose par l’entreprise Est-For Invest OÜ a été finalement totalement abandonné. Baptisé « usine à un milliard », le montant de l’investissement annoncé, le projet devait initialement voir le jour à proximité de l’Emajõgi en amont de Tartu. Il avait rapidement rencontré l’opposition des élus et de la population de la ville universitaire. Dans ce contexte d’opposition, les autorités nationales avaient longtemps hésité à prendre une position tranchée, arguant que le projet n’en était qu’à l’étape des études. Alors que les opposants dénonçaient les risques de pollution, seul le ministre de l’environnement Siim Kiisler avait soutenu le projet d’aménagement. Face à la fronde locale, l’entreprise Est-For a abandonné la région de Tartu et envisagé des alternatives ailleurs (près de Räpina par exemple). Certaines communes se sont portées candidates pour accueillir la structure, sans pour autant convaincre Est-For qui a fini par jeter totalement l’éponge.

Côté sportif, comme en 2017, le pilote de rallye Ott Tänak a terminé troisième du championnat du monde des rallyes derrière le Français Sébastien Ogier et le Belge Thierry Neuville. Membre de l’équipe Toyota pour la première année, Ott Tänak s’est illustré par sa vitesse, ce qui lui a permis de remporter quatre rallyes et d’être élu pilote de l’année. Si une victoire finale est restée possible jusqu’au dernier rallye en Australie, le pilote estonien a été toutefois contraint à l’abandon laissant le titre mondial à son ancien coéquipier français. L’Estonien sera incontestablement un favori pour le titre en 2019. De son côté, la skieuse freestyle de 16 ans Kelly Sildaru a retrouvé les pistes de ski et continue d’asseoir sa domination tant dans sa catégorie d’âge que chez les adultes.

Sorti il y a quelques semaines, le film Võta või jäta (À prendre ou à laisser) a été primé au festival du film d’Arras. Il a été récompensé du Prix de la critique et a reçu une mention spéciale du jury.

Enfin, comme en 2010 avec les autres États baltes et la Norvège puis en 2016 en compagnie de la Finlande, l’Estonie a de nouveau partagé le haut de l’affiche du festival des Boréales à Caen. Fêtant toutes trois leur centenaire, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont été mises à l’honneur de l’édition 2018.

Photo : ERR / Priit Mürk