En avril, les regards étaient d’abord tournés vers Tallinn où la transition politique s’est poursuivie. Le 14 avril, le Conseil municipal de Tallinn a élu, non sans difficulté, le social-démocrate Jevgeni Ossinovski maire de la ville. Après l’adoption de la motion de censure qui avait mis un terme au mandat de Mihhail Kõlvart (Parti du centre), les partis de la nouvelle coalition ont entamé des négociations pour fixer leur politique d’ici aux élections locales d’octobre 2025. Si les représentants du Parti de la réforme, d’Eesti 200 et du Parti social-démocrate, alliés au niveau national, souhaitaient aller à l’essentiel, le parti Isamaa, membre de l’opposition au Riigikogu et plutôt populaire dans les sondages, a tenté d’imposer certains éléments qui avaient peu de rapport avec la gestion de Tallinn. Ainsi, Isamaa a réclamé que l’accord de coalition contienne le projet d’un débat sur le retrait du droit de vote des citoyens de Russie et du Bélarus aux élections locales, sujet qui anime la classe politique depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, Isamaa étant pour une telle mesure. Avec les sociaux-démocrates opposés à ce projet, ceux-ci estiment que le retrait du droit de vote pourrait entraîner des conséquences plus néfastes que la participation desdits citoyens aux scrutins, et sachant que les autorités municipales n’ont aucun pouvoir en la matière, les quatre partis ont finalement intégré un point très vague afin de satisfaire tout le monde.
En revanche, un nombre de décisions symboliques a été annoncé. Il a été entériné que la gratuité des transports publics pour les Tallinnois ne serait pas remise en cause, les efforts seraient avant tout à faire dans le développement du réseau et une meilleure connexion du réseau municipal au réseau régional. En revanche, ce qui était le rêve des opposants au Parti du centre allait enfin pouvoir devenir réalité : la fermeture des organes de presse municipaux, considérés comme des outils de propagande du Parti du centre. Quarante personnes se sont vu signifier la fin de leur contrat. Aussi, tous les élus centristes siégeant dans le conseil de surveillance des différentes entreprises municipales ont été rappelés par l’exécutif et l’audit de certaines structures a été ordonné pour faire la lumière sur les pratiques en place.
L’accord de coalition signé, les élus devaient encore élire le maire, poste qui échoyait aux sociaux-démocrates, cette étape devait, entre autres, confirmer la solidité de la nouvelle coalition. Cependant, il aura fallu pas moins de trois tours de scrutin pour que Tallinn ait un nouveau maire. Lors du premier tour, deux voix nécessaires ont manqué, puis une lors du second, ce qui a fait flotter un sentiment d’incertitude parmi les leaders politiques. Finalement, tous les élus de la coalition se sont rangés derrière Jevgeni Ossinovski lors d’un troisième tour de scrutin. Toutefois, la saga ne s’est pas arrêtée là. En effet, dans les jours qui ont suivi, le Parti du centre, qui venait de perdre le pouvoir, a contesté la régularité du vote. Certains élus auraient pris en photo leur bulletin, une pratique interdite, pour prouver leur respect des consignes. De plus, les centristes ont remarqué que les votants n’avaient pas placé leur croix au hasard dans la case, comme si chaque parti avait reçu un coin de celle-ci afin de vérifier que chaque groupe politique avait voté comme convenu. Sur la base de ses soupçons, la nouvelle opposition municipale a rapidement déposé une motion de censure contre le nouveau maire. Si les observateurs se sont demandé si certains élus, notamment les non-inscrits, n’allaient pas rejoindre l’opposition, cette dernière n’a toutefois pas reçu de renfort et a échoué à renverser à son tour le maire. Enfin, et preuve que la pilule est dure à avaler pour les centristes, une suppléante a tenté de faire annuler le mandat d’Andres Hanimägi, un ancien centriste passé chez les sociaux-démocrates. En effet, selon cette suppléante, l’élu aurait déclaré une adresse de résidence fictive dans la capitale, adresse sans laquelle il ne pourrait pas siéger au Conseil municipal (si Hanimägi avait effectivement menti sur son domicile – l’affaire n’a pas eu de suites judiciaires –, le siège d’élu serait revenu… à la plaignante). Alors que la coalition n’a aucune voix de réserve, l’épisode a renforcé l’incertitude qui règne sur la scène politique dans la capitale estonienne.
Une fois par an, les députés estoniens votent pour élire le bureau du Riigikogu. Traditionnellement, les postes de président et de premier vice-président sont réservés à des députés de la coalition et le second poste de vice-président à un député de l’opposition. Sans surprise, les députés des trois partis de la coalition (Parti de la réforme, Eesti 200 et Parti social-démocrate) ont reconduit Lauri Hussar (Eesti 200) et Toomas Kivimägi (Parti de la réforme) à leur poste. En revanche, le suspens était entier à propos du poste de second vice-président occupé jusque-là par Jüri Ratas. En avril 2023, celui qui faisait partie du Parti du centre avait bénéficié du soutien de son parti et de celui d’Isamaa pour battre le candidat d’EKRE, le troisième parti de l’opposition (le plus important en nombre d’élus). Un an plus tard, Jüri Ratas est membre d’Isamaa et le groupe centriste réduit à six élus. L’élection d’Arvo Aller, le candidat d’EKRE, allait-elle pouvoir être empêchée ? Finalement, Jüri Ratas, qui n’a pas reçu le soutien de son ancien parti, a été élu grâce au renfort d’une partie des élus de la coalition, qui préférait avoir ce dernier au perchoir plutôt qu’un membre du groupe EKRE qui mène une politique d’obstruction à outrance au Parlement depuis plus d’un an. Ce revers pour EKRE n’a toutefois pas été le seul. Dans le cadre du débat parlementaire sur la possibilité de voter par téléphone mobile lors des prochaines élections législatives, le Parlement a voté en faveur de la limitation des suspensions de séance avant chaque vote, outil très utilisé par EKRE pour ralentir le vote des lois.
À quelques semaines des élections européennes, l’intégralité des candidats est désormais connue. Les électeurs estoniens et les citoyens européens résidant en Estonie auront à choisir l’un des 78 candidats en lice afin de décider qui seront les sept eurodéputés estoniens. Neuf partis politiques et cinq candidats indépendants ont été officiellement enregistrés par la commission électorale. Huit partis (Parti de la réforme, EKRE, Isamaa, Parti social-démocrate, Parti du centre, Eesti 200, Les Verts d’Estonie et Parempoolsed) présentent une liste complète ; de son côté, le parti KOOS ne présente qu’un candidat, le controversé Aivo Peterson, en détention provisoire depuis le printemps 2023 et jugé pour activités anti-estoniennes. Dans un premier temps, la liste des Verts ne devait compter que deux candidats, pour lesquels le parti avait pu payer la caution. Toutefois, la formation politique a porté l’affaire en justice et a par la suite obtenu gain de cause, la Cour suprême imposant à la commission électorale d’enregistrer l’intégralité de la liste a posteriori.
Dans le contexte des diverses déclarations du patriarche Cyrille de Moscou par lesquelles ce dernier a apporté son soutien à la conduite de la guerre en Ukraine par la Russie, les autorités estoniennes s’intéressent de près aux positions de l’Église orthodoxe d’Estonie, église semi-autonome rattachée canoniquement au Patriarcat de Moscou. Plus tôt en 2024, considéré comme porteur du discours belliqueux du Kremlin, le métropolite Eugène avait été prié de quitter le pays. Début avril, le ministre de l’Intérieur Lauri Läänemets a dû une nouvelle fois convoquer les représentants de l’EOEMP après que le patriarche Cyrille a annoncé que la guerre en Ukraine était une guerre sainte lors du Conseil mondial du peuple russe, une instance sous l’égide de l’Église orthodoxe russe, fin mars. À la suite de la rencontre avec le ministre, le synode de l’EOE a déclaré qu’il ne reconnaissait pas le document adopté par le conseil. Néanmoins, le ministre estonien attend plus de l’EOE et il a déclaré que l’organisation religieuse ne pouvait plus continuer ses activités en conservant ses liens avec l’Église orthodoxe de Russie, appelant les autorités religieuses à entreprendre les démarches nécessaires. En réponse au ministre, l’higouménia du monastère de la Dormition (situé à Kuremäe, Ida-Virumaa), couvent placé directement sous la juridiction du patriarche de Russie, a répliqué qu’il était impossible de briser les liens existants. En l’absence de démarches de la part des autorités religieuses, le ministre n’exclut pas la dissolution des structures juridiques qui dépendent de Moscou, c’est-à-dire l’EOE, le monastère de la Dormition, ainsi que la paroisse Nevski de Tallinn (pour ensuite recréer des structures nouvelles). La situation est rendue complexe par l’absence d’unité au sein même de l’EOE dont une partie des paroisses chercheraient ou seraient prêtes à se rapprocher du patriarcat de Constantinople. La question des relations entretenues avec l’Église russe est d’autant plus sensible que le Parlement estonien avait adopté une déclaration qui qualifie ladite Église d’organisation soutenant l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine.
Donner un avis divergent ou peu clair sur la guerre en Ukraine déclenche immédiatement un scandale. En avril, c’est le footballeur Konstantin Vassiljev, qui a été pris dans la tempête. Le 4 avril, celui qui est le capitaine de l’équipe nationale et de celle du FC Flora (Tallinn) a déclaré que la paix pourrait être restaurée en cas de victoire de l’Ukraine, mais que cette éventualité pourrait exister aussi en cas de victoire de la Russie. Évoquer une éventuelle victoire de la Russie a été vu comme une absence de soutien à l’Ukraine de la part de quelqu’un qui avait déjà été partie prenante d’un scandale précédent, la participation de footballeurs estoniens à un repas avec le sélectionneur de l’équipe nationale de Russie en décembre 2022. Face aux critiques, le joueur, tout en rappelant sa loyauté envers l’Estonie, a annoncé renoncer au brassard de capitaine pour les matches de l’équipe d’Estonie. De son côté, et si des voix réclamaient la fin du contrat du joueur, le FC Flora a simplement décidé que Vassiljev ne serait simplement plus capitaine de l’équipe.
Dans un pays qui se veut à la pointe en termes de numérisation de la société, tout problème de fonctionnement dans ce domaine fait réagir. En avril, deux épisodes ont montré que personne n’était à l’abri d’une défaillance. Premièrement, c’est l’organisation en ligne de l’examen de sélection pour l’entrée au lycée, commun à tous les établissements d’État de la région de Harju (dans laquelle se trouve Tallinn), qui a échoué. Alors que l’examen avait débuté, la plateforme n’a pas résisté au nombre de connexions simultanées. Afin de garantir une équité entre les candidats, le processus de sélection des futurs lycéens ne prend pas en compte l’examen en ligne et chaque établissement utilise ses propres critères de sélection. Deuxièmement, alors que les examens de fin de collège devaient être passés en ligne à partir du printemps 2025, les tests réalisés en 2024 ont montré que toutes les écoles n’étaient pas prêtes à faire la transition si tôt. Ainsi, ce n’est qu’au cours de l’année scolaire 2025-2026 que les premiers examens nationaux se dérouleront en ligne.
En avril, des perturbations du système GPS, attribuées à la Russie, ont engendré nombre de désagréments dans l’est de l’Estonie. Le 31 mars 2024, après une pause d’un an et demi, la liaison aérienne entre Tartu et Helsinki a été rouverte après que la compagnie Finnair a répondu à l’appel d’offre de la ville de Tartu pour une période allant jusqu’à 2027. Cette réouverture marquait un second départ post-Covid (fermée en mars 2020, la ligne avait été rouverte entre mars et octobre 2022). À peine un mois plus tard, la compagnie aérienne finlandaise s’est vue contrainte d’interrompre ses activités après que deux de ses vols ont été dans l’incapacité d’atterrir à Tartu deux soirs de suite. En l’absence d’outils permettant de se passer du GPS (l’aéroport de Tartu n’est pas équipé de tour de contrôle et ne possède de système d’aide à l’atterrissage que dans un sens de la piste), atterrir à Tartu est devenu risqué. Rapidement, les autorités estoniennes se sont mobilisées pour trouver une solution afin de permettre une reprise des vols, qui a été annoncée pour la fin du mois de mai. Les désagréments causés par les perturbations du GPS ne sont pas tous aussi sérieux, mais les effets peuvent se voir là où on ne s’y attend pas. Ainsi, une installation lumineuse dans la cathédrale de Tartu a cessé de fonctionner, son allumage étant lié au GPS !
Du côté du 7e art, après le succès du film Savvusanna Sõsarad, sa réalisatrice Anna Hints et le réalisateur Tushar Prakash ont été sélectionnés pour présenter leur film Sannapäiv dans le cadre de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2024. Si le premier film s’intéressait à des femmes, Sannapäiv traite, lui, des relations entre hommes dans le contexte du sauna à la fumée. Il s’agira de la quatrième participation d’un film estonien au festival après Papa Carlo teater (Le théâtre du Père Carlo) en 1989, Inimene, keda polnud en 1990 et Magnus en 2007.
En sport, les Estoniens continuent de briller dans les sports d’hiver. En avril, Marie Kaldvee et Harri Lill ont remporté la médaille d’argent aux championnats du monde de curling double mixte organisés en Suède. Cette deuxième place constitue une première dans l’histoire du curling estonien et permet d’envisager une première participation aux prochains Jeux olympiques en 2026.
Enfin, le 1er avril, Ottilie-Armilde Tinnuri, qui était l’Estonienne la plus âgée depuis mars 2021, est décédée à l’âge de 110 ans, 1 mois et 28 jours. Avant elle, personne n’avait vécu aussi longtemps en Estonie ; selon les données, une seule autre personne avait jusque-là atteint l’âge de 109 ans. Désormais, l’Estonienne la plus âgée est Larissa Šipitsõna, née le 18 juin 1917 et âgée de presque 107 ans.
Photo : Siim Lõvi / ERR