Le 9 mai 2021, à l’occasion de la journée de l’Europe, les trois Premiers ministres baltes, Kaja Kallas (Estonie), Krišjānis Kariņš (Lettonie) et Ingrida Šimonytė (Lituanie) ont exprimé leur attachement aux valeurs de l’Union européenne (UE) et ont honoré la pensée de Robert Schuman. Ils ont reconnu la nécessité de « construire notre futur et le futur des prochaines générations d’Européens », en encourageant particulièrement « les populations des États baltes à prendre part activement à la construction de notre futur commun ». Plus encore, ce message a soulevé des attentes, qui ne sont pas nouvelles et bien connues de ces trois pays, les trois Baltes appelant « toutes les institutions de l’Union européenne à prendre en compte les idées des citoyens et de les retranscrire en actions concrètes afin de mieux répondre aux besoins et aux attentes des citoyens et assurer la prospérité de l’Europe dans les années à venir ».

Cette dernière remarque formulée n’est pas sans faire écho au chemin, abrupt, que ces derniers ont emprunté depuis leur indépendance jusqu’à l’obtention du titre précieux d’État membre de l’Union européenne en 2004. Un parcours long et fastidieux mais dont les résultats semblent, encore aujourd’hui, au rendez-vous et largement salués par la population. L’UE apporte à l’Estonie les moyens nécessaires à son émancipation des marchés russes, lui garantit une sécurité supplémentaire aux côtés de l’OTAN, tout en lui offrant une voix dans les instances de représentation, une aubaine pour ce petit État d’1,3 million d’habitants, frontalier de la Russie, qui a retrouvé son indépendance depuis seulement 30 ans et bien éloigné du centre névralgique bruxellois.

Néanmoins, l’Estonie doit encore aujourd’hui redoubler d’efforts pour asseoir sa position. Elle a dû longtemps prouver qu’elle n’était pas affiliée aux idéaux de Moscou alors même que cette dernière persiste à lui accoler l’image d’un « satellite », partie intégrante de son espace d’influence. À ce titre, la présidence estonienne du conseil de l’UE en 2017 a été déterminante.

source Twitter @ratasjuri 09.05.2021

L’intégration à l’Union européenne, un parcours de longue haleine

D’après les travaux de Vahur Made, le développement de la politique étrangère estonienne peut se découper en trois périodes. La première période, (1991-1994) a largement consisté à renforcer l’indépendance nouvellement acquise notamment en assurant le retrait total du territoire estonien de l’ensemble des troupes russes. La seconde période, (1994-2004) est quant à elle marquée par deux événements majeurs : les adhésions à l’Union européenne (UE) et à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). La troisième période, (2004 – ), se caractérise par la marginalisation de la question russe, résultat d’un sentiment de sécurité fort suite aux adhésions, et permet ainsi à l’Estonie de prendre part activement à de nouveaux projets aux côtés des autres États membres, mais également de renforcer la coopération transatlantique. Toutefois, certains événements récents (crise du soldat de bronze en 2007, annexion de la Crimée en 2014, empoisonnement d’Alexeï Navalny en 2020) ont largement détérioré les relations entre la Russie et l’Estonie et, à ce jour, la question russe est plus que jamais présente dans l’agenda estonien, soulevant l’hypothèse d’une quatrième période dans le façonnement de la politique étrangère estonienne.

La seconde période (1994-2004) est marquée par deux processus d’adhésion d’envergure dont celui d’intégration à l’Union européenne. Les négociations d’adhésion entre Tallinn et Bruxelles ont débuté le 31 mars 1998, trois ans après le dépôt de sa candidature en novembre 1995. Cette campagne d’adhésion a été marquée par la mise en place de nombreuses réformes afin de satisfaire les exigences des différentes instances en charge du dossier. La Task Force « Élargissement » du Parlement européen a régulièrement publié des fiches thématiques proposant des analyses économiques, politiques et sociales de chaque pays souhaitant intégrer l’Union européenne. L’une de ces fiches, « L’Estonie et l’élargissement de l’Union européenne », publiée le 2 mars 2000, témoigne de la vision de l’Occident à l’égard de l’Estonie, alors toute jeune démocratie.

caricature de l’Estonien Hugo Hübus, illustrant la détermination de l’Estonie à adhérer à l’UE

D’un point de vue économique, les membres de la Task Force affirmaient à cette période que « l’Estonie a une économie de marché viable dans laquelle les forces du marché jouent pleinement leur rôle (…) elle devrait être en mesure, à moyen terme, de faire face aux pressions concurrentielles et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union, à condition de mener à terme les grandes réformes structurelles restantes. » Parallèlement, les analystes faisaient aussi état de fragilités en affirmant que « des efforts considérables sont nécessaires en ce qui concerne le code et les tarifs douaniers » et observaient « des progrès très limités (…) dans le domaine social et dans celui du contrôle financier, où la capacité de mise en œuvre doit faire l’objet d’une attention particulière ». Globalement, cette fiche thématique concluait que, « l’Estonie a continué à progresser dans la poursuite de l’alignement de sa législation» mais que « des efforts considérables doivent être consentis (..), en particulier dans les domaines suivants: libre circulation des marchandises, aides d’État, agriculture, douane, politique régionale, environnement, contrôle financier et questions sociales ». Les points évoqués ci-dessus permettent ainsi d’obtenir certains éléments d’analyse de la situation estonienne à la fin de la décennie 1990. C’est le 14 septembre 2003 que les résultats du référendum pour l’entrée de l’Estonie dans l’UE tombent : c’est une large majorité qui l’emporte avec 63 % des suffrages exprimés en faveur de l’adhésion. En 2004 l’Estonie adhère officiellement à l’UE.

Une émancipation multi-scalaire, résultat d’une relation réciproque

Le statut d’État membre de l’Union européenne est un enjeu stratégique pour l’Estonie tant pour sa protection que pour son développement économique. Alors que la Russie a constamment été perçue comme une menace, l’État balte a entamé une transition sans précédent afin de s’émanciper du voisin russe, permise par les soutiens financiers et sécuritaires de l’UE. Désormais pleinement intégrée au marché intérieur de l’UE, l’Estonie a développé de nouveaux partenariats économiques et peut exporter ses produits facilement. Plus encore, elle s’est donnée des objectifs dans le cadre de sa transition énergétique afin de se synchroniser pleinement d’ici 2025 au réseau européen tout en développant des énergies plus vertes, alors que l’extraction des schistes bitumineux extrêmement polluante, développée dans le Virumaa pendant l’occupation soviétique, est encore un des piliers de son économie. Parallèlement, l’Estonie a doté l’Europe d’une expertise non négligeable dans les domaines des technologies de l’information ainsi que de la Fintech et est désormais la figure de proue dans le processus de création d’un marché unique numérique.

Diversifier ses partenaires économiques et se synchroniser aux marchés européens de l’énergie

Il est intéressant de constater que l’intégration à l’Union européenne a permis à l’Estonie de renforcer son indépendance retrouvée sur les plans sécuritaire, économique et énergétique. Premièrement, après son adhésion à l’UE, l’Estonie s’est rapidement développée et a connu une grande réussite économique. Intégrer le marché intérieur de l’UE lui a permis de développer les échanges commerciaux vers l’Ouest: en 2019, la part de l’UE représentait « 74 % des exportations de l’Estonie » (Suède 18 %, Finlande 16 %, Lettonie 9 %) et 82 % des importations de l’Estonie (Finlande 13 %, Allemagne 11 %, Lituanie 9 %) », soit la partie la plus considérable de son marché. En 2004, l’Estonie exportait environ 12 % de ses marchandises en Russie contre seulement 8,7 % en 2018. Les principaux produits d’exportation en 2017 étaient les machines et équipements (26 %), le bois et ses produits (11 %), les produits minéraux (10 %) et les articles manufacturés divers (9 %).

D’un point de vue énergétique, « la diversification des sources et des fournisseurs d’énergie et la réduction de la dépendance vis-à-vis du gaz naturel russe ont pris une place prépondérante dans la politique énergétique de l’UE ». Dès lors, l’Union européenne s’est engagée à financer de nombreux projets dans la région baltique à l’image du « plan d’interconnexion des marchés énergétiques de la région baltique (PIMERB)», approuvé par la Commission européenne et les huit États membres situés le long de la mer Baltique en juin 2009. Le plan est devenu « l’une des étapes les plus importantes pour l’Estonie afin d’établir de nouvelles connexions énergétiques et de développer un marché commun de l’énergie nordique et baltique ». D’après la Commission européenne, « le principal objectif de l’initiative du plan d’interconnexion du marché de l’énergie de la Baltique est de parvenir à un marché régional de l’électricité et du gaz ouvert et intégré entre les pays de l’UE de la région de la mer Baltique ». L’objectif ultime du PIMERB est de relier complètement d’ici 2025 les États baltes au réseau continental européen d’énergie et assurer la désynchronisation de ces derniers avec le réseau BRELL (Bélarus, Russie, Estonie, Lituanie, Lettonie). S’émanciper des ressources énergétiques de la Russie n’est pas le seul objectif de l’Europe : ensemble, Estonie et UE travaillent sur un bouquet énergétique européen plus respectueux de l’environnement en mettant notamment fin à l’héritage soviétique des schistes bitumineux, extrêmement polluants.

Alors que la sonnette d’alarme a été tirée par le Parlement européen et que le Green Deal européen fait aujourd’hui office de référence, l’Estonie semble résister : cette dernière, aux côtés de la République tchèque, de la Pologne et de la Hongrie, a refusé l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Le parti estonien d’extrême droite EKRE, fermement eurosceptique, pointe du doigt les contradictions de la stratégie énergétique de l’UE qui maintient une dépendance dangereuse avec la Russie tout en faisant la promotion de l’éolien que le ministre des Finances Martin Helme (EKRE) qualifiait en 2019 de « pas assez stable » et qui «ne sert qu’à faire du spectacle». Pourtant, la mer Baltique réunit les conditions naturelles idéales au développement de l’éolien offshore : des vents forts et stables, une eau peu profonde et la proximité des côtes. WindEurope estime que 1500 MW d’énergie éolienne offshore sont accessibles au large de l’Estonie, soit une puissance équivalente à la plus grande centrale électrique de schistes bitumineux du pays, propriété de Eesti Energia dans la région de Narva. Toutefois, un pan entier de l’économie estonienne dépend de l’extraction des schistes bitumineux, en 2019 elle « employait directement près de 7 000 personnes, soit un peu plus de 1 % de la main-d’œuvre du pays ». Dès lors, les objectifs se sont essentiellement focalisés sur la modernisation des infrastructures plutôt que sur l’arrêt total de la pratique.

Néanmoins, en juin 2019, lorsque la compagnie publique Eesti Energia a annoncé « une vague de licenciements, au moins temporaire, touchant 1 300 salariés d’ici la fin de l’été », le gouvernement de Jüri Ratas a souhaité trouver un compromis fragile, entre pérennisation des emplois et transition verte. Aujourd’hui, le discours est moins eurosceptique et la nouvelle première ministre Kaja Kallas, a tracé une ligne profondément en faveur d’une transition verte. Elle a affirmé que « plus de parcs éoliens offshore sont nécessaires pour aider à atteindre ces objectifs climatiques » et que ces changements affecteront nécessairement « la région d’Ida-Virumaa dans le nord-est de l’Estonie, où l’extraction, le raffinage et la production d’électricité de schiste bitumineux sont depuis longtemps essentiels ». Pour ce faire, l’effort budgétaire sera conséquent, la Commission européenne a annoncé en 2020 que 300 GW d’énergie éolienne offshore seront installés d’ici 2050 et que jusqu’à 800 milliards d’euros devront être investis.

 

« E-Estonia » : l’expertise numérique estonienne au service de l’UE

Le 1er mars 2021, les premiers ministres estonien, finlandais, danois et allemand ont appelé l’Union européenne à accélérer la mise en place d’une « souveraineté numérique » et la création d’un « marché unique numérique ». La relation Estonie-Union européenne est riche de par sa réciprocité. Alors que l’Europe apporte financements et sécurité à l’État balte, cet État-plateforme se distingue par son expertise dans le numérique et les technologies de l’information (IT). Les quatre Premiers ministres ont ainsi adressé une lettre à la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, affirmant que la mise en place d’une souveraineté numérique permettrait « d’accroître la capacité technologique de l’Europe et sa capacité à établir des valeurs et des règles dans un monde centré sur la technologie qui devient dominé par d’autres pays ». Le marché unique numérique est quant à lui un outil de taille pour « promouvoir l’innovation et attirer les investissements ». La numérisation de l’administration est également nécessaire, au même titre que de nombreux domaines : santé, énergie, transports… Cette déclaration conjointe rappelle toute l’importance que l’Estonie a donné à la numérisation de ses services : 99 % des services étatiques sont dématérialisés. Plus encore, l’Estonie est le premier pays à proposer l‘e-résidence, un statut de résident numérique délivré par le gouvernement. Il permet de créer une entreprise à distance et de la gérer depuis n’importe quel endroit dans le monde.  Créé le 1er décembre 2014, le statut de e-résident permet aujourd’hui à l’Estonie de rayonner par-delà ses frontières en permettant aux entrepreneurs de gérer leur entreprise en ligne, et donc d’être basé où ils le souhaitent . En 2020, l’Estonie enregistrait 70 000 e-résidents, soit 21 300 de plus qu’en 2018. À ce jour, plus de 15 000 entreprises estoniennes ont été créés à distance par des e-résidents de plus de 120 pays.

La présidence estonienne du Conseil de l’Union européenne en 2017 : pour une Europe numérique, plus sûre et verte

L’importance estonienne donnée à la numérisation de son administration  et de sa société a été l’un des piliers de son programme lors de sa présidence du Conseil de l’Union européenne de juillet à décembre 2017. Cette dernière a semble-t-il illustré rigoureusement sa position adoptée depuis 2004. L’Estonie a ainsi fait entendre sa voix avec un programme qui a consisté en quatre points essentiels : une économie européenne ouverte et innovante, une Europe sûre et sécurisée, une Europe numérique et une Europe inclusive et durable. C’est notamment dans le cadre de cette présidence que s’est tenu le premier sommet européen dédié aux question numériques à Tallinn, les 28 et 29 septembre 2017. Les chefs d’État et Premiers ministres alors présents ont entre autres examiné les propositions de la Commission européenne en matière de cybersécurité, de libre circulation des données et de fiscalité de l’économie numérique .

Lors de sa présidence du Conseil de l’union européenne, l’Estonie a apporté son soutien au Partenariat Oriental, tout en appelant avec fermeté à de plus lourdes sanctions au fil des conflits et des crises engageant la Russie. Elle a souhaité renforcer la coopération UE-OTAN, développer la recherche cyber et de façon plus générale augmenter les dépenses dans le secteur de la défense, « afin de renforcer la sécurité en Europe ». D’un point de vue économique, l’Estonie a souhaité encourager l’entreprenariat en simplifiant les formalités administratives pour les entreprises et en exploitant au mieux les possibilités offertes par les technologies numériques. Le tout a été pensé parallèlement au respect de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable. Le programme complet de l’État estonien lors de sa présidence peut être consulté ici : https://www.eukn.eu/fileadmin/Files/Presidencies/2017_Estonia/ET_Programme.pdf.

La présidence du Conseil de l’UE a permis à l’État balte d’imposer durablement ses objectifs au sein de l’Union européenne, de lui donner de la visibilité, de renforcer la coopération avec les États membres et de promouvoir la politique d’élargissement de l’Union européenne afin de permettre à d’autres États de rejoindre la communauté. Aujourd’hui, l’Estonie compte 7 députés au Parlement européen et la commissaire européenne à l’énergie n’est autre que Kadri Simson, ancienne ministre estonienne des Affaires économiques et des infrastructures de 2016 à 2019.

Des difficultés persistantes : entre crainte pour sa sécurité et manque de reconnaissance

L’autonomie stratégique européenne : les limites de la coopération UE-Estonie 

« Il existe un consensus dans la société et la vie politique estoniennes sur le fait que l’OTAN, et les États-Unis en particulier, sont les principaux garants de la sécurité du pays » affirme Piret Kuusik, chercheuse à l’Institut estonien de politique étrangère de l’ICDS. De plus, la chercheuse affirme que « depuis les années 1990, la politique étrangère et de sécurité estonienne a suivi deux principes directeurs : un partenariat stratégique étroit avec les États-Unis et la centralisation de sa place en Europe ». En outre, l’engagement stratégique envers les États-Unis est également considéré comme « un engagement envers des valeurs partagées comme la démocratie et l’ordre international fondé sur des règles ». Cependant, cela se résume également aux capacités militaires et de défense des États-Unis. Ces derniers sont considérés par l’Estonie comme le seul État membre de l’OTAN ayant les capacités nécessaires pour assurer la totale protection de la région baltique. Ces éléments « sont les principales motivations d’un sentiment transatlantique fort et enraciné ». Dès lors, l’Estonie prône régulièrement dans ses discours officiels l’importance de maintenir une « communauté transatlantique unie », gage de sa sécurité et de la réalisation de ses objectifs de politique étrangère. Toutefois, les tensions récentes entre l’Europe et les États-Unis au sujet de l’autonomie stratégique européenne « demeurent la plus grande préoccupation pour l’Estonie ». En effet, elle voit dans le retrait des États-Unis une perte considérable de moyens et donc la possible diminution des capacités pour la défendre.

 

 La carte montre bien que l’Estonie considère l’autonomie stratégique européenne  comme « non nécessaire » et « préjudiciable à l’OTAN ». Alors que l’administration Trump a largement fragilisé le lien transatlantique, appelant l’Europe à débloquer des fonds conséquents pour assurer sa propre sécurité, il semblerait que la nouvelle administration Biden ne s’oriente pas sur ce même chemin. Bien qu’il soit encore trop tôt pour tirer des conclusions, ce dernier s’est semble-t-il davantage prononcé pour un lien transatlantique fort. Certains parlent même d’une position « obamienne » sur le projet européen, qui considère « une Union européenne forte comme un atout précieux pour les États-Unis ». En revanche, cela n’exclut pas la possibilité que les États-Unis laissent vivre le débat sur l’autonomie stratégique européenne animé par la France. D’autres affirment qu’autonomie n’est pas antonyme de coopération et que « seule une Europe dotée de capacités renforcées, et donc plus autonome, peut travailler utilement avec l’administration Biden, afin de rendre au multilatéralisme sa grandeur ». Kristi Raik, directrice de l’Institut de politique étrangère estonien de l’ICDS, affirme que « dans les parties orientale et septentrionale de l’UE, un engagement fort des États-Unis reste indispensable pour contenir une Russie de plus en plus autoritaire et instable ». À ce titre, l’Estonie préfère le status quo car un retrait américain serait extrêmement dommageable pour sa sécurité.

Renforcer et pérenniser son image :  le combat n’est pas terminé

Alors que ses campagnes d’intégration à l’Union européenne et à l’OTAN ont été l’occasion de réformer en profondeur le pays pour satisfaire aux exigences de leurs institutions, elles ont largement été motivées par un besoin sécuritaire fort pour contrecarrer les velléités de son grand voisin. L’UE lui a ouvert son marché, lui permettant d’importer et d’exporter avec l’Allemagne, la Suède, les États-Unis (entre 2000 et 2007, les exportations des États baltes ont été multipliées par cinq, contre moins du double dans l’UE-15) mais également d’adopter sa monnaie et d’intégrer l’espace Schengen. Dotée de nouvelles armes, l’Estonie a su s’imposer à l’échelle internationale, prendre la présidence d’organisations importantes et ainsi s’atteler à des projets nouveaux : renforcer la cohésion régionale, accompagner d’autres pays de la région dans leur émancipation de la Russie ou encore renforcer le lien transatlantique.

Néanmoins, il est nécessaire de rappeler que ce combat pour la reconnaissance a été long, fastidieux et est loin d’être totalement terminé. Siim Kallas, ancien Premier ministre (2002-2003), affirme au sujet des Estoniens que « nous avons dû prouver que nous pouvions gérer nos finances », « nous devions prouver que nous n’étions pas des sympathisants des SS ou des néo-nazis » ou que « nous avions une démocratie normale, fonctionnelle et durable ». Plus encore, d’un point de vue géographique « les grandes villes d’Europe occidentale sont à des milliers de kilomètres, Saint-Pétersbourg et Moscou sont toutes deux beaucoup plus proches » et « notre langue n’a pas de parents en Europe à l’exception du finnois et du hongrois ». Néanmoins, l’Estonie est aujourd’hui, « traité(e) sur un pied d’égalité à la table des négociations au Conseil et à la Commission », membre de l’OTAN et enfin reconnue par la communauté internationale. Un parcours long mais aux résultats non négligeables, notamment dans un contexte de reprise des tensions régionales, qui lui permettent de pérenniser sa situation économique  et sécuritaire.

 

La journée de l’Europe célèbre ainsi, au-delà des valeurs partagées entre pays européens, toute une histoire, non sans embûches, qui a permis à l’Estonie de devenir un État membre de l’Union européenne. Cette relation est aujourd’hui importante tant par les moyens alloués par l’Europe pour garantir sécurité et autonomie à l’Estonie que par l’enrichissement culturel et politique que l’Estonie offre à cette Union. Bien que géographiquement  éloignée de l’axe  franco-allemand, l’Estonie a su s’imposer sur la scène européenne, initiant plusieurs discussions dans le cadre de conflits, comme ce fut le cas au Bélarus. Elle est devenue une référence dans bien des domaines, à l’instar du numérique , et se dit prête à engager sa transition énergétique à la condition que son besoin vital d’autonomie soit garanti.

 

Sources:

– « Déclaration commune des premiers ministres d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie à l’occasion de la Journée de l’Europe », 9 mai 2021, https://www.valitsus.ee/en/news/joint-statement-prime-ministers-estonia-latvia-and-lithuania-occasion-europe-day

– Vahur Made, « La conception estonienne de la politique étrangère et des relations internationales », Revue internationale et stratégique, 2006/1 (N°61), p. 175-186. DOI : 10.3917/ris.061.0175. : https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2006-1-page-175.htm

-Toute l’Europe, « Estonie », 27 janvier 2021, https://www.touteleurope.eu/pays/estonie.html

– Groupe de travail du secrétariat général Task Force Elargissment, « Fiche thématique n°8 : L’Estonie et l’élargissement de l’Union européenne », Luxembourg le 2 mars 2000, https://www.europarl.europa.eu/enlargement/briefings/pdf/8a1_fr.pdf

– Jean-Pierre Minaudier, Histoire de l’Estonie et de la nation estonienne, ADÉFO-L’Harmattan – coll. Bibliothèque finno-ougrienne, 2007

– Tanel Kerikmäe , Holger Mölder , Archil Chochia « L’Estonie et l’Union européenne » chapitre du livre History and Politics, World Politics (pp.1-18) aux éditions Oxford University Press, novembre 2019 https://www.researchgate.net/publication/337499115_Estonia_and_the_European_Union

– Banque mondiale, « Estonie », https://wits.worldbank.org/CountryProfile/en/Country/EST/Year/2018/SummaryText

– Ministère des Affaires étrangères d’Estonie « Commerce », 18/10/2018, https://vm.ee/en/trade-estonia#:~:text=In%202017%2C%20the%20share%20of,miscellaneous%20manufactured%20articles%20(9%25)

– Ministère des Affaires étrangères d’Estonie, « l’Estonie dans l’Union européenne », 18 février 2019, https://vm.ee/en/estonia- european-union

– Tanel Kerikmäe , Holger Mölder , Archil Chochia « L’Estonie et l’Union européenne » chapitre du livre History and Politics, World Politics (pp.1-18) aux éditions Oxford University Press, novembre 2019 https://www.researchgate.net/publication/337499115_Estonia_and_the_European_Union

– Céline Bayou, « Estonie : au seuil d’une transition énergétique radicale? », Regard Sur l’Est , 24/07/2019, https://regard-est.com/estonie-au-seuil-dune-transition-energetique-radicale#:~:text=L’Estonie%20s’est%20fix%C3%A9,avenir%20proche%2C%20les%20schistes%20bitumineux.

– ERR « Négociations de la coalition Réforme-Centre : Les énergies renouvelables primeront sur le schiste bitumineux, 20/01/2021, »https://news.err.ee/1608079303/reform-center-coalition-talks-renewables-to-take-precedence-over-oil-shale

 – Commission européenne, « Une stratégie européenne visant à exploiter le potentiel des énergies renouvelables en mer pour un avenir neutre sur le plan climatique », 19/11/2020, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0741&from=EN

– ERR, « L’Estonie et les pays de l’UE proposent d’accélérer la “souveraineté numérique européenne », 02/03/2021, https://news.err.ee/1608127618/estonia-eu-countries-propose-faster-european-digital-sovereignty

– Lettre originale à consulter ici : https://valitsus.ee/uudised/saksamaa-taani-eesti-ja-soome-valitsusjuhid-euroopa-digitaalne-suveraansus-tagab-meile

ERR, « L’Estonie et les pays de l’UE proposent d’accélérer la “souveraineté numérique européenne », 02/03/2021, https://news.err.ee/1608127618/estonia-eu-countries-propose-faster-european-digital-sovereignty

– voir site : https://e-estonia.com/

–  Piret Kuusik, » L’importance de relations transatlantiques étroites en Estonie », ICDS, 20 novembre 2018, https://icds.ee/en/led-into-the-fork-the- importance-of-close-transatlantic-relations-in-estonia/

– Laurence Nardon, « L’autonomie stratégique européenne et la présidence Biden », Groupe d’études géopolitiques, IFRI, 02/ 2021, https://www.ifri.org/en/publications/publications-ifri/articles-ifri/european-strategic-autonomy-and-biden-presidency

Josep Borell, « Pourquoi l’Europe doit-elle être stratégiquement autonome ? », Editoriaux de l’Ifri, décembre 2020, https://www.ifri.org/fr/publications/ editoriaux-de-lifri/leurope-etre-strategiquement-autonome

– Siim Kallas, « Les 15 ans de l’Estonie dans l’UE », ICDS, 27 mai 2019, https://icds.ee/en/estonias-15-years-in-the-eu/