2020 marque plusieurs temps forts pour l’Estonie. Depuis le 1er janvier, l’Estonie est désormais membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle y siégera pendant deux ans. Dans le pays, le ministère de la culture a placé 2020 sous le signe de la culture numérique.

Fin janvier, l’Estonie a célébré les 200 ans de la découverte de l’Antarctique par l’amiral russe Fabian Gotlieb von Bellingshausen, un Germano-Balte né sur l’île de Saaremaa. Pour l’occasion, une expédition maritime a été organisée à l’initiative d’une association et du musée maritime estonien. À bord d’un voilier rebaptisé Admiral Bellingshausen, une délégation estonienne a relié Kronstadt en Russie au Continent austral en 18 mois. La fin du voyage a été effectuée en présence de la présidente de la République Kersti Kaljulaid, qui a accompagné les membres de l’expédition dans différentes stations scientifiques antarctiques. Elle a aussi profité du voyage pour signer le décret relatif à la remise de décorations à l’occasion de la fête nationale, montrant ainsi la modernité de l’Estonie. Même en Antarctique, les autorités estoniennes continuent de fonctionner grâce à la numérisation avancée des services de l’État.

Le 2 février, l’Estonie a célébré le centenaire du Traité de Tartu, qui a mis fin à la guerre d’indépendance entre Estonie et Russie soviétique et a permis de délimiter les frontières du pays. Les cérémonies ont également marqué la fin des événements organisés depuis 2017 pour le centenaire de la République d’Estonie. Divers temps forts ont eu lieu dans le pays et les curieux ont pu voir le document original du traité. La fête a néanmoins été marquée par des tensions diplomatiques entre l’Estonie et la Russie. En effet, si l’Estonie estime que le traité est toujours valide, la Russie rejette cette idée, arguant que cela ouvrirait la porte à des revendications territoriales – la frontière actuelle, dépourvue de traité juridique, est située à l’ouest de la frontière de 1920. Les tensions sont d’autant plus fortes que certains leaders politiques estoniens (EKRE) affirment clairement leur souhait de voir un retour aux frontières de l’entre-deux guerres.

Le 24 février, l’Estonie a fêté les 102 ans de son indépendance. Le traditionnel défilé militaire a eu lieu à Tallinn et la réception présidentielle a cette fois eu lieu au théâtre Ugala de Viljandi. Dans son discours, la présidente de la République Kersti Kaljulaid a notamment demandé aux membres du Riigikogu, le parlement estonien, de remplir la mission que les électeurs leur ont confié, de se comporter tel le travailleur Andres dans l’œuvre de Tammsaare Tõde ja Õigus et non pas comme Pearu. Les enjeux environnementaux et la politique en matière d’éducation ont également été abordés. Cette réception présidentielle a été l’objet d’une polémique depuis la fin de l’année 2019 après que le Premier ministre Jüri Ratas a annoncé qu’il n’y participerait pas. Traditionnellement l’événement était boycotté par les députés du parti EKRE, qui organise habituellement un défilé aux flambeaux le 23 février ou boudé par certaines figures politiques comme Edgar Savisaar. L’absence du chef de l’exécutif a mis au jour les tensions qui pouvaient exister avec la cheffe de l’État. La décision de Jüri Ratas a été largement critiquée, beaucoup rappelant que la réception n’était pas celle de Kersti Kaljulaid, mais de la République d’Estonie.

À Tartu, une crise politique, qui avait éclaté quelques mois auparavant a trouvé son dénouement : la fin de la coalition entre le Parti de la Réforme et le Parti du centre. Ce résultat découle de tensions internes à la seconde formation après un changement de direction. Jusque-là dirigé par Aadu Must, figure historique du parti, l’antenne locale du Parti du centre a choisi de soutenir l’entrepreneur Jaan Toots. Suite à son élection, ce dernier a demandé aux deux maires-adjoints de son parti de démissionner. Venue à Tartu à l’initiative d’Aadu Must, la maire-adjointe Moonika Rand a refusé de se plier aux ordres de son parti, entraînant un psychodrame local de plusieurs mois. Ne pouvant pas voter une motion de défiance contre elle – un acte contraire aux statuts du Parti du centre – le Parti du centre s’est retrouvé dans une impasse et a un temps espéré recevoir l’aide des autres élus de l’assemblée locale pour se débarrasser de M. Rand. Les autres formations ne souhaitant être la solution à ce conflit interne, la saga n’a pu que déboucher sur la fin de la coalition issue des élections de 2017. Débarrassé du Parti du centre, le Parti de la Réforme a décidé de se tourner vers le Parti social-démocrate pour former une nouvelle équipe jusqu’aux élections locales d’octobre 2021.

Depuis l’entrée au gouvernement du parti d’extrême-droite EKRE, la question de l’immigration fait régulièrement l’objet de déclarations souhaitant un contrôle et une diminution de l’immigration en Estonie, notamment celle venant d’Ukraine. Le ministre de l’intérieur Mart Helme (EKRE) tente d’imposer des conditions de recrutement plus contraignantes pour les ressortissants extra-communautaires. Cette inquiétude vis-à-vis de l’arrivée de non-Estoniens dans le pays est partagée par la ministre de la population Riina Solman (Isamaa) qui craint pour l’homogénéité culturelle du pays. Toutefois, les mesures prises rencontrent l’opposition d’autres ministres, comme Kaimar Karu (sans parti, nommé sur proposition d’EKRE) et Tanel Kiik (Parti du centre), et des représentants du patronat. Plus généralement, les ministres les plus nationalistes souhaitent contrôler plus strictement les personnes qui travaillent dans le secteur de la mobilité partagée (comme l’entreprise Bolt, chauffeur commandé par application mobile) et de la livraison de repas à domicile (Wolt, Bolt Food). Ces emplois sont souvent effectués par des étrangers (étudiants notamment) dont la non-maîtrise de l’estonien n’est pas du goût de tous.

La croissance de la population (avant tout estonienne dans le sens ethnoculturel) est aussi un enjeu pour la ministre de la population. Riina Solman souhaite mettre en place des mesures pour inciter les Estoniens à avoir plus de deux enfants. Depuis quelques années, un troisième enfant permet d’obtenir des allocations conséquentes, mais la ministre veut plus de résultats. Elle a par exemple proposé d’aider les nouvelles familles nombreuses pour s’adapter à l’arrivée d’un nouvel enfant (aide à l’achat d’un véhicule plus grand). Son parti Isamaa a également validé l’idée d’allonger la période au cours de laquelle le niveau des indemnités du congé parental est garanti en cas de naissances consécutives. Actuellement, en cas de naissances successives dans un intervalle de deux ans et demi, une mère a l’assurance de voir ses indemnités calculées à partir du salaire qui était le sien avant la première naissance. Pour assurer une sécurité financière aux familles estoniennes, Isamaa souhaite allonger cette période à trois ans. Cette annonce a été faite alors que les statistiques pour 2019 indiquent que les naissances de 3e et 4e enfants sont en augmentation. Il n’était pas né autant de quatrièmes enfants depuis 1992 !

L’actualité politique est enfin marquée par deux réformes : la réforme des pharmacies et la réforme des retraites. Le 1er avril prochain, ne pourront continuer d’être ouvertes que les officines qui sont la propriété d’un pharmacien. Le but de cette réforme décidée il y a cinq ans est de mettre fin à la mainmise des grossistes en médicaments sur le réseau de pharmacies en Estonie. Mais le parti Isamaa a tenté fin 2019 d’amender la loi jugée trop contraignante et a proposé un nouveau texte législatif. Malheureusement pour la formation de droite, tous les députés de la coalition n’ont pas adhéré au texte et le projet a été rejeté par le parlement. Après cet échec, le parti EKRE (coalition) et les Sociaux-Démocrates (opposition) ont proposé leurs solutions, sans succès. Ainsi, après des mois de débat acharnés, la situation est inchangée et la réforme entrera en vigueur dans un mois. Autre sujet cher à Isamaa : le système de retraites. Actuellement, les Estoniens doivent obligatoirement cotiser à un système par capitalisation (en parallèle du régime obligatoire par répartition) et ne peuvent en utiliser les bénéfices qu’à leur départ à la retraite. Isamaa a lancé une réforme pour supprimer l’obligation de cotiser par capitalisation et permettre aux cotisants de retirer une partie des sommes avant leur départ en retraite. L’objectif est d’offrir aux Estoniens la possibilité d’investir ce capital selon leur gré. Malgré les critiques, qui dénoncent une mesure à court terme qui va entraîner un appauvrissement des futurs retraités, le Riigikogu a adopté le texte début février. Toutefois, la coalition gouvernementale a dû faire face au veto présidentiel, Kersti Kaljulaid jugeant le texte anticonstitutionnel. Les députés doivent désormais revoir leur texte, qui en cas de nouveau refus présidentiel, sera étudié par la Cour suprême.

À Tallinn, l’avenir semble s’éclaircir pour le complexe Linnahall bâti à l’occasion des Jeux olympiques d’été de 1980 de Moscou – Tallinn avait accueilli les épreuves nautiques. Fermé depuis de nombreuses années et délabré, l’ensemble, qui contient une salle de spectacle, une patinoire entre autres, a fait l’objet à de multiples reprises de projets de rénovation, mais toutes se sont achevées par un échec. Fin février, la ville de Tallinn, l’entreprise AS Tallink Grupp et l’entreprise AS Infortar ont signé la création d’une entreprise commune, chargée de moderniser Linnahall et d’aménager les espaces alentours (centre de conférence, centre commercial, hôtels, port) pour un montant de 300 millions d’euros.

Sujet à la Une de l’actualité mondiale, le virus coronavirus est également arrivé en Estonie le 26 février. Juste arrivée à Tallinn en bus en provenance de Lettonie, la personne concernée a immédiatement contacté les services de santé ce qui a permis de limiter très vite les risques de propagation dans le pays.

Au cinéma, deux films font la Une. Tout d’abord, les spectateurs peuvent découvrir Talve d’Ergo Kuld. Il s’agit du dernier opus des adaptations au cinéma de l’œuvre d’Oskar Luts. Le premier roman Kevade (1912-1913) a été adapté en 1969 avec Kevade, un film désigné film du siècle en 2012. Suvi (publié en 1918-1919) a été adapté en 1976 et Sügis (publié en 1938 pour la première partie et en 1988 pour la seconde) en 1990. Les trois films ont été réalisés par Arvo Kruusement. Bien que l’adaptation se base sur un livre publié en 1994 et dont l’authenticité est discutée, Talve marque le point final de la célèbre saga. En deux semaines de projection, plus de 100 000 personnes ont vu le film. En parallèle, il est possible de voir le film d’animation Sipsik (Meelis Arulepp et Karsten Killerich) qui porte à l’écran Sipsik, le célèbre personnage rayé bleu ciel et blanc de l’écrivain Eno Raud.

Enfin, le 29 février, le représentant de l’Estonie au prochain concours de l’Eurovision (à Rotterdam) a été désigné lors du traditionnel concours national Eesti Laul. Cette année, c’est Uku Suviste défendra les couleurs de l’Estonie avec sa chanson What Love Is.

Photo : Jaan Poska signant le Traité de Tartu