Début mai, l’Estonie a célébré les 15 ans de son adhésion à l’Union européenne, le 1er mai 2004. L’événement a été fêté du 1er au 12 mai dans toute l’Estonie, en particulier à Tallinn le 9 mai, date de la Journée de l’Europe. Dans le contexte de la campagne des élections européennes, cette date anniversaire a été l’occasion de débattre de l’Europe. La présidente Kersti Kaljulaid a tenu un discours et les têtes de liste pour le scrutin européen du 26 mai ont débattu en public place de la Liberté.

Comme pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne, l’actualité politique du mois de mai a été principalement marquée par les élections européennes. En Estonie, ce scrutin s’inscrivait dans un contexte particulier, puisque la page des élections législatives était à peine tournée et que l’entrée de l’extrême-droite au gouvernement était toujours sujet de débat. Ainsi, la question centrale du scrutin concernait l’éventualité d’un vote sanction contre la nouvelle coalition gouvernementale. Force est de constater que ce sont les partis d’opposition (Parti de la Réforme et Parti social-démocrate) qui sont sortis vainqueurs avec respectivement 26,2 % (+ 1,9 par rapport à 2014) et 23,3 % (+ 9,7) des suffrages, soit deux élus chacun. Le Parti de la Réforme sera représenté par l’ancien Premier ministre et commissaire européen Andrus Ansip et le député sortant Urmas Paet, le Parti social-démocrate sera représenté par Marina Kaljurand et Sven Mikser. Il faut souligner ici que le PSD a obtenu un second siège avant tout grâce à la popularité de Marina Kaljurand, ancienne diplomate, qui a réalisé le troisième plus gros score lors d’élections européennes en Estonie depuis 2004 (1). De son côté, le Parti du centre, qui n’a obtenu que 14,4 % des voix (- 8), sera représenté par la députée européenne sortante Yana Toom. Alors que l’extrême-droite et l’euroscepticisme gagnent en popularité à travers l’Europe, EKRE (12,7 %) a obtenu son tout premier siège de député européen (Jaak Madison). Toutefois, ce score est très inférieur au score réalisé lors du scrutin national de mars. L’annonce par les principaux candidats du parti qu’ils ne siègeraient pas au Parlement européen a probablement incité les électeurs à ne pas voter. Enfin, le parti de droite Isamaa (10,3 %, – 3,6) doit attendre que le Royaume-Uni quitte l’UE pour bénéficier du siège supplémentaire qui sera attribué à l’Estonie. La formation sera alors représentée par Riho Terras, l’ancien chef d’État-major de l’armée. À noter l’échec de Raimond Kaljulaid (6,2 % des suffrages), qui avait décidé de se présenter en tant qu’indépendant après son départ du Parti du centre, et d’Eesti 200 (3,2 %). Enfin, menée par Evelin Ilves (l’ancienne femme de l’ex-président Ilves), la liste des Verts n’a atteint que 1,8 %.

Alors que la campagne a été relativement calme, les esprits étant encore occupés par les conséquences des élections législatives, un moment a provoqué la curiosité : la venue de Marine Le Pen à Tallinn avec trois autres leaders d’extrême-droite et de la droite nationaliste. Cette visite a mis dans l’embarras les leaders d’EKRE. Si le député Jaak Madison a été très actif pendant la présence de la Française à Tallinn, le président du parti Mart Helme a tenu à garder ses distances en critiquant la position de Mme Le Pen vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine – pour EKRE, la Russie est un ennemi qu’il faut combattre.

Sur la scène nationale, les premières semaines du gouvernement Ratas II n’ont pas été dépourvues de polémiques. Le parti EKRE a eu quelques difficultés pour trouver un remplaçant à Marti Kuusik, ministre très éphémère du commerce extérieur et des nouvelles technologies, qui a démissionné après que la presse a fait part de soupçons de violences conjugales. Soucieuses de ne pas se retrouver au cœur de l’attention des journalistes, plusieurs personnes ont décliné le poste. C’est finalement la députée Kert Kingo qui a été proposée. L’entrée en fonction de cette dernière a été relativement chaotique : la nouvelle ministre a en effet annoncé qu’elle limiterait au maximum ses déplacements et qu’elle ne conduirait ses entretiens qu’en estonien avec l’aide d’un interprète. Elle a également renoncé à se rendre au G20 qui se déroulera au Japon fin juin (l’Estonie a été invitée à venir partager son expérience en termes de développement numérique). Le pays sera finalement représenté par le Premier ministre Jüri Ratas.

Les premières annonces concernant la future stratégie budgétaire de l’État estonien ont provoqué une levée de bouclier parmi les chercheurs et le monde universitaire. En effet, le gouvernement n’a pas intégré la promesse faite lors de la campagne électorale d’augmenter le financement de la recherche à hauteur de 1 % du PIB. Cette nouvelle a fait rapidement réagir les présidents d’université, qui ont appelé à une grève préventive le 5 juin. Symboliquement, plusieurs « funérailles » de la recherche ont également été organisées devant le Parlement et le ministère de l’Éducation et de la Recherche. L’exécutif justifie ce choix par la situation financière relativement mauvaise de l’État – l’ampleur du déficit budgétaire en 2018 a surpris le gouvernement.  La consternation du milieu universitaire est d’autant plus grande que le gouvernement a dans le même temps annoncé une baisse de 25 % des taxes sur les produits alcoolisés. Cette mesure a pour objectif de lutter contre le commerce frontalier entre la Lettonie et l’Estonie. Là aussi, cette annonce a été fortement décriée par l’opposition et le monde de la santé.

Si l’état des finances publiques est plus mauvais que prévu, l’économie estonienne va mieux qu’attendu. Les économistes prévoyaient une croissance entre 3 et 3,5 % au premier trimestre 2019 (par rapport au premier trimestre 2018), mais celle-ci s’est finalement établie à 4,5 % du PIB. Le niveau de la croissance est d’autant plus étonnant que le moteur habituel, l’immobilier, ralentit. L’économie estonienne va bien avant tout grâce à la production industrielle, aux secteurs des communications et du commerce. Malgré ces données, la prudence reste de mise car cette embellie est sûrement passagère, les économies voisines n’étant pas aussi dynamiques.

Les professionnels du cinéma sont particulièrement enthousiastes. En effet, le réalisateur britannico-américain Christopher Nolan, auteur d’une trilogie de films Batman entre 2005 et 2012, des films Inception (2010), Interstellar (2014), Dunkerque (2017) entre autres, va en partie tourner son nouveau film Tenet (produit par Warner Bros.) en Estonie. La venue d’un tel projet en Estonie ravit, même si les questions liées au tournage ont rapidement été source de débat. Le tournage doit notamment avoir lieu sur l’artère routière Laagna tee, qui traverse le district de Lasnamäe (Tallinn). L’équipe du film a exprimé le souhait de l’utiliser pendant un mois complet, mais la fermeture d’une route de première importance dans la capitale a rencontré l’opposition de la municipalité.

En cette période où les célébrations sont nombreuses, l’Estonie a fêté le 16 mai dernier les 200 ans de la naissance de Johann Voldemar Jannsen, l’un des personnages centraux du mouvement national estonien au XIXe siècle. Fondateur du quotidien Perno Postimees en 1857 et puis d’Eesti Postimees (1863), Jannsen est également à l’origine des fêtes du chant, dont la première a été organisée à Tartu il y a tout juste 150 ans. Enfin, c’est lui qui a écrit les paroles de l’hymne estonien Mu isamaa, mu õnn ja rõõm.

Enfin, représentée par le chanteur suédois Victor Crone et la chanson Storm, l’Estonie a terminé 20e du concours Eurovision, qui s’est tenu à Tel-Aviv.

(1) En 2004, Toomas Hendrik Ilves (PSD) avait obtenu 76 120 voix et en 2009, Indrek Tarand, candidat indépendant, avait obtenu 102 460 voix.

Photo : ERR