Le mois de décembre a marqué la fin de l’année du centenaire de la République d’Estonie et les derniers « cadeaux à l’Estonie » (événements culturels, sportifs, etc.) réalisés par les Estoniens. Le 31 décembre, les Estoniens ont par exemple été appelés à se rendre sur la place centrale de 16 villes différentes pour une performance de danse commune. Sur les écrans de cinéma, les spectateurs ont pu découvrir le long-métrage Eia jõulud Tondikakul (programme du centenaire) de la réalisatrice Anu Aun avec Paula Rits dans le rôle principal. Le film suit les aventures d’Eia, fille de 10 ans vivant en ville, qui est conduite dans une ferme du sud de l’Estonie pour les vacances de Noël.

De manière générale, les productions cinématographiques estoniennes sorties en 2018 ont attiré un public nombreux avec plus de 600 000 entrées sur l’année. Ce bond par rapport aux années précédentes est largement dû aux films du programme EV100, dont le nombre d’entrées dépasse à lui seul l’ensemble des entrées des films estoniens de l’année 2017. Les films Seltsimees laps et Eia jõulud Tondikakul ont même franchi le seuil symbolique des 100 000 entrées avec plus 116 000 spectateurs pour le premier et plus de 110 000 pour le second (pour les seules trois premières semaines d’exploitation en salle).

Apparue en septembre, la polémique concernant les changements de pratique dans l’octroi de la citoyenneté estonienne par les services de police a trouvé son dénouement. À la fin de l’été, une Estonienne d’Abkhazie s’était vu refuser son renouvellement de passeport. La raison : les services de police (PPA) lui avaient octroyé en 2013 la citoyenneté estonienne (en tant que descendante d’émigrés estoniens) par erreur. De 2003 à 2015, le PPA a considéré que les descendants des personnes qui vivaient en Russie et qui avaient demandé à être citoyens estoniens à la suite du Traité de Tartu (1920) mais qui ne s’étaient pas installées en Estonie au cours de l’année suivante, condition nécessaire pour devenir officiellement estoniens, étaient des citoyens estoniens de droit. Depuis 2015, le PPA a changé de position ; les descendants de personnes qui n’étaient pas revenues en Estonie ne peuvent devenir citoyens que par naturalisation, comme tout autre étranger, et des complications apparaissent pour ceux qui ont obtenu la citoyenneté entre 2003 et 2015. Malgré une expertise universitaire qui va dans le sens de la pratique adoptée en 2015, il a été décidé que les personnes devenues citoyennes « par erreur » n’avaient pas à pâtir de la situation et continueraient d’être considérées comme des citoyens de naissance.

À Narva, le passé communiste de la ville fait débat. Interpellé à plusieurs reprises par une Tallinnoise originaire de Narva, le secrétaire de la ville souhaite débaptiser les rues Ancis Dauman et Albert-August Tiimann, qui portent le nom des leaders locaux de la Commune des travailleurs d’Estonie (1918-1919), un régime favorable aux bolchéviques instauré sur une partie du territoire estonien pendant la guerre d’indépendance. Cette question agite la vie politique de Narva depuis les années 1990, époque à laquelle de nombreuses rues, sauf les deux évoquées, ont été rebaptisées. Toutefois, il n’est pas certain que le projet obtienne le soutien du conseil municipal, des élus mettant en avant le coût trop important de l’opération. Cet argument est jugé absurde par le porteur du projet. L’affaire est remontée jusqu’au sommet de l’État, puisque la présidente estonienne, sollicitée, s’en est saisie à partir de février 2018. Le 1er décembre, la chef de l’État a remis symboliquement deux plaques au correspondant local d’ERR, l’audiovisuel public pour qu’il les remette aux élus locaux.

Sujet de débat et très décriée pour ses conséquences fiscales, la politique menée par le chef des sociaux-démocrates Jevgeni Ossinovski lorsqu’il était ministre du travail et de la santé pour réduire la consommation d’alcool en Estonie a été récompensée à Édimbourg. En effet, l’Estonie s’est vu remettre le prix européen de la lutte contre les conséquences de l’alcool (European Award for Reducing Alcohol Harm). Depuis quelques années, la politique gouvernementale, notamment son volet fiscal, rencontre une opposition forte. L’une des conséquences les plus visibles est la forte augmentation des achats transfrontaliers d’alcool par les Estoniens en Lettonie voisine.

Au chapitre judiciaire, le procès le plus attendu de ces dernières années, celui pour corruption de l’ex-maire de Tallinn et ex-président du Parti du centre, Edgar Savisaar n’aura pas lieu. Dès les premières audiences en 2017, l’avocat de l’accusé a mis en avant l’incapacité de ce dernier à suivre le procès à cause de son état de santé. Si la cour d’appel l’avait jugé apte, la cour suprême a prononcé un jugement opposé, mettant fin aux poursuites judiciaires contre Edgar Savisaar. Les années de règne à la mairie de Tallinn de l’ancien leader de la Révolution chantante marquées de nombreuses affaires politico-médiatiques resteront sans jugement.

Dans les transports, une page de 90 ans s’est tournée à Pärnu et un premier bilan peut être fait concernant la mise en place de la gratuité sur les lignes régionales de bus dotées par l’État. Le 8 décembre, Pärnu, quatrième ville d’Estonie, a été desservie par train pour la dernière fois. La décision a été prise après que le service estonien de surveillance des infrastructures a jugé le tronçon ferré Lelle-Pärnu inapte à la circulation des trains de voyageurs. Il sera de nouveau possible de relier Tallinn à Pärnu après la construction de la nouvelle ligne Rail Baltica (Tallinn-Varsovie). Côté bus, la mise en place de la gratuité début juillet a rencontré un fort succès. Entre juillet et novembre 2018, le nombre de voyageurs a été 32 % supérieur à celui de la même période un an auparavant. Les gens se déplacent vers les villes depuis plus loin et certaines catégories de personnes (personnes âgées, enfants) se déplacent plus.  Toutefois, la gratuité s’accompagne d’effets négatifs : des bus surchargés, la fermeture d’entreprises privées victimes de la concurrence gratuite, la présence de passagers indésirables et des attentes trop élevées de la part des usagers en termes de qualité du matériel roulant, de fréquence de passage. Sur le plan de l’emploi, la situation de l’Estonie se complexifie. Si le taux de chômage est faible (5,2 % au troisième trimestre 2018) et s’il semblerait qu’il y ait les personnes nécessaires en Estonie, le manque de main-d’œuvre est criant pour les professions d’agent d’entretien et de personnel de chambre d’hôtel et dans le secteur de la sécurité, du transport routier et de la restauration. L’explication principale de cette situation est le salaire proposé trop faible par rapport aux attentes. En revanche, les « secrétaires » en recherche d’emplois sont plus nombreuses que les offres existantes. La question du manque de main-d’œuvre est d’autant plus sensible qu’elle alimente le débat sur la venue d’une main-d’œuvre étrangère en Estonie et sur l’immigration en général. La présence massive d’Estoniens en Finlande dans le secteur de la construction a notamment pour effet l’emploi, en Estonie, d’immigrés ukrainiens.

Photo : ERR / Siim Lõvi