Novembre a rimé avec diffusion du coronavirus en Estonie avec de nouvelles régions touchées plus massivement (Raplamaa, Tartumaa) en plus des régions de Harjumaa et Ida-Virumaa déjà concernées au cours des semaines précédentes. Fin novembre, le taux d’incidence atteignait 350/100 000. Malheureusement, après un été avec un seul décès, le nombre de victimes a fortement augmenté au cours du mois avec une cinquantaine de décès (63 personnes étaient décédées au printemps). Face à la crise, le gouvernement impose progressivement des mesures comme l’obligation de porter le masque, la règle 2+2 (interdiction des « groupes » de plus de deux personnes et maintien d’une distance de 2 mètres). Avec l’apparition de cas dans les établissements scolaires et universitaires, une partie des cours est désormais donnée en ligne.

Le port du masque ne fait toutefois pas l’unanimité. Une rare unité est visible au sommet de l’État avec un appel commun de la président Kersti Kaljulaid, du Premier ministre Jüri Ratas et du président du Riigikogu Henn Põlluaas. En revanche, quelques centaines de personnes se sont rassemblées le 27 novembre sur la place de la Liberté dans le centre de Tallinn pour manifester contre le masque.

Malgré la crise sanitaire, et certains ne comprennent que cela demeure une priorité, la vie politique continue d’être rythmée par le projet de référendum portée par la coalition parlementaire autour de la définition du mariage. Initialement annoncé pour le 25 avril, le vote est désormais prévu le 18 avril 2021. Toutefois, son organisation n’est aucunement certaine. En effet, l’opposition parlementaire a annoncé vouloir tout faire pour empêcher l’adoption de la loi encadrant le référendum. Les députés sociaux-démocrates ont déjà prévu de déposer des milliers d’amendements pour bloquer l’examen de la loi au parlement sachant que la loi doit être votée au mois de janvier pour permettre un référendum en avril. Parallèlement aux manœuvres d’obstruction de l’opposition, la majorité doit aussi faire face à des défections dans ses rangs. Quatre des douze députés Isamaa ont déjà pris position contre le référendum, ce qui laisse plus que 52 voix potentielles à la majorité. Deux défections de plus enterreraient le référendum. L’absence de soutien indéfectible dans les rangs de la majorité a déjà causé un incident, sans conséquence. L’inscription du projet de loi à l’ordre du jour de la commission des Affaires constitutionnelles a été rejetée en raison de l’opposition d’un député Isamaa.

La vie du gouvernement estonien a été rythmée par trois changements de ministre. Début novembre, le ministre de l’Environnement Rene Kokk (EKRE) a annoncé qu’il quittait ses fonctions pour raisons de santé. Il a été remplacé par Rain Epler, jusque-là conseiller du ministre des Finances Martin Helme. Le nouveau ministre a rapidement provoqué une petite polémique en déclarant ne pas être convaincu que les activités humaines soient la principale cause du réchauffement climatique.

Quelques jours plus, c’est le ministre de l’Intérieur Mart Helme (EKRE) qui a quitté son poste. Familier des déclarations polémiques, l’ancien président du parti EKRE a déclaré à la radio que les élections présidentielles américaines avaient été entachées de fraude et que Joe Biden était corrompu. Alors que l’opposition a rapidement déposé une motion de censure contre le ministre, une motion qui aurait pu obtenir le soutien de certains députés des partis de la coalition gouvernementale, Mart Helme a remis sa démission pour, selon ses dires, retrouver sa liberté de parole. Il a été remplacé par l’ancien chef du quartier-général de l’armée Alar Laneman.

L’affaire Helme a rapidement mobilisée la classe politique. Cinq anciens Premiers ministres (A. Ansip, T. Rõivas, S. Kallas, M. Laar, A. Tarand) et l’ancien président Toomas Hendrik Ilves ont rédigé une déclaration commune dans laquelle ils critiquent les propos de Mart Helme et estiment que ce dernier n’avait pas sa place au gouvernement. Après la démission de Mart Helme, l’opposition parlementaire a déposé une motion de censure contre Martin Helme, qui avait approuvé les propos de son père. Si la motion n’a pas obtenu les 51 votes nécessaires, les observateurs ont été intrigués par le fait que Martin Helme n’ait reçu aucun vote de soutien de la part des députés de la majorité. Avec ces deux démissions, Martin Helme est désormais l’unique ministre EKRE en poste depuis l’entrée du parti d’extrême-droite au gouvernement en avril 2019.

Épargné par les scandales jusque-là, le parti du Centre, parti du Premier ministre Jüri Ratas, a été rattrapé par une affaire impliquant la ministre de l’Éducation Mailis Reps. La vice-présidente du parti du Centre a démissionné après que le journal Õhtuleht a révélé que la ministre utilisait chauffeur et véhicule du ministre pour les déplacements de ses six enfants. La famille Reps a même fait usage d’un mini-bus pour un voyage familial. Mailis Reps a été remplacée par Jaak Aab, jusque-là ministre des Affaires publiques, et ce dernier a été remplacé par la députée Anneli Ott.

L’affaire Reps a provoqué plusieurs débats en termes d’éthique journalistique. Les journalistes ont été critiqués pour avoir suivi les enfants de la ministre et en avoir publié des photos dans la presse. La critique la plus polémique est venue de Raivo Aeg, le ministre de la Justice. Ce dernier a ordonné une enquête pour établir si les journalistes n’avaient enfreint la loi. Face à cette décision, les journalistes ont critiqué le ministre pour avoir attaqué la liberté de la presse, et le Premier ministre Jüri Ratas pour être resté silencieux.

À Narva, la scène politique locale est dans une phase d’attente après que l’opposition a réussi à convaincre quelques élus de la coalition au pouvoir de la rejoindre lors du vote d’une motion de censure contre le maire de la ville et le président de l’assemblée locale. L’équipe en place a longtemps dirigé la ville sous l’égide du parti du Centre avant de prendre son indépendance après un conflit avec la direction centrale du parti. L’opposition dirigée par Katri Raik (députée sociale-démocrate, ancienne directeur du collège universitaire de la ville) a réussi à se renforcer pour se rapprocher du pouvoir. Toutefois, la majorité déchue, qui gère les affaires courantes, refuse pour l’instant d’inscrire l’élection d’un nouveau maire et d’un nouveau président d’assemblée. Si le pouvoir demeure vacant pendant deux mois, l’intégralité des conseillers municipaux seront remplacés par leurs suppléants.

Enfin, sur l’île de Saaremaa, une frontière linguistique symbolique a été marquée. Le son estonien marqué par la lettre õ est absent sur l’île, exception faite de son extrémité occidentale. Il laisse place au son marqué par « ö ». Il y a quelques mois, un panneau signalant ce particularisme local avait été installé sur le bord de la route principale de l’île, mais le Service des routes avait demandé son retrait, car il ne respectait pas la réglementation. Après ce contrecoup, les partisans du projet ont conçu un monument combinant un Ö et un Õ, qui a été inauguré fin novembre.

Photo : Margus Muld / ERR